dimanche 14 juin 2009

Histoires d'histoires (suite)
















Le temps des romans à dix sous (2e partie)






Dans les années 1940-50, il y a peu d’auteurs canadiens-français et ceux-ci ne trouvent pas beaucoup de lecteurs.
Pour la majorité de la population, la fiction se trouve au cinéma (qui, comme aujourd’hui, est surtout américain) et à la radio, avec les « radioromans » qui deviendront des téléromans après l’apparition de la télévision canadienne en 1952.

Mais il y a les « romans à dix sous » (à ne pas confondre avec les « dime novels » américains des années 1880-1900).

L’histoire des romans à dix sous ou « littérature québécoise en fascicule » commence durant la Seconde Guerre Mondiale.


Après la fin de la Première guerre mondiale, ç’a été l’âge d’or des « pulp magazine » aux USA. Ce sont des magazines bon marché publiant des nouvelles et des récits à épisodes : policiers, science-fiction, etc. Plusieurs futurs auteurs célèbres y font leur début. Très tôt, on les trouve sur le marché canadien.
Mais le arrive deuxième conflit mondial : la loi de 1940 (War Exchange Conservation Act) interdit l’importation de périodiques étrangers contenant des histoires de « sexe, crime, détective, western et soi-disant cas vécus ».
On vient d’ouvrir une niche dans le marché, pour les éditeurs canadiens. Ceux-ci se mettent à la recherche d’auteurs prêts à travailler pour pas cher afin de remplacer les périodiques états-uniens subitement devenus introuvables de ce côté-ci de la frontière. La loi bloque aux douanes les histoires d’un certain type. Elle n’interdit pas de publier si elles sont écrites au Canada. Alors on publiera des histoires de « sexe, crime, détective, western et soi-disant cas vécus », typiquement canadiennes…
Bientôt apparaissent les « pulps » canadiens : « True Crime », « Murder and Mysteries » « « Feature Detective Case » « Daring Crime Case » etc. Cette époque sera aussi l’Âge d’Or de la B.D. canadienne favorisée, de plus, par une loi rationnant l’encre de couleur, ce qui contribue à éliminer les « comics » américains du marché local.

Et au Québec, apparaissent, les « romans à dix sous ».

De 1944 à 1967, les kiosques à journaux, les étagères des gares et des tabagies sont couverts de ces fascicules d’une quarantaine de pages en moyenne, aux couvertures monochromes munies d’illustrations spectaculaires, d’un goût souvent douteux. On les vend 0.10$ (d’où leur surnom de « romans à dix sous »). Le prix montera à 0.15$ dans les années 60, qui verront la disparition du genre.

La publication est hebdomadaire, chaque semaine voyant la parution d’un nouvel épisode d’une histoire à suivre. Plus de 80 feuilletons seront publiées pendant les 23 ans d’existence de ce médium.
Certaines racontent des « cas vécus » tirés des annales policières mais la plupart sont des œuvres de fiction de tous les types : policiers, science-fiction, western et, bien sûr, espionnage car le genre a commencé durant la deuxième guerre mondiale et, aussitôt, après, c’est la guerre froide et les espions de romans font leur part dans la lutte contre le « danger communiste ». .

Le plus populaire : « Les aventures étranges de l’agent IXE-13, l’as des espions canadiens-français ». En 1950, un million d’exemplaires de cette série seront vendus.( Combien d’auteurs québécois contemporain ont vendu un million d’exemplaires d’un de leurs livres ? )
De semaine en semaine, Jean Thibault alias l’agent IXE 13, accompagné de son faire-valoir, le colosse marseillais Marius Lamouche pulvérise les méchants communistes. Parmi ceux-ci, un ancien nazi, le colonel Von Tracht (devenu Tracko, une fois passé aux Soviétiques après la guerre) et la séduisante Taïa « Reine des communistes chinois ».

Mais il y en a d’autres : le Domino Noir, un justicier masqué, sous l’identité duquel se cache Simon Antoine, jeune et riche playboy, aidé par ses inséparables compagnons, le journaliste Benoît Augé et la jolie Marthe Bouché. Il y a Albert Brien, l’as des détectives canadiens-français et Guy Verchères l’Arsène Lupin canadien-français, Monsieur Mystère, et bien d’autres. Étonnamment, plusieurs mettent en scène un personnage central féminin : « Colette UZ-16, l’As femme détective canadienne-française », « Françoise UC 12, l’incomparable espionne canadienne-française », « Diane, la belle aventurière », etc.
Le caractère « canadien-français » des héros et héroïnes est souvent mis en évidence dans le titre des feuilletons. On peut y voir un phénomène de compensation pour un peuple manquant de vrais héros (après tout, c’est au beau milieu de cette période, en 1955, qu’a eu lieu la fameuse émeute du forum à la suite de la suspension de Maurice Richard).

Qui lisait ces récits ? Selon une étude réalisée par un consortium universitaire appelé Érudit la moyenne d’âge des lecteurs de romans à dix sous était de 15 ans. Selon la même étude, la majorité d’entre eux, lorsqu’ils ont délaissé ce type de lecture, se sont mis à lire des best-sellers. Point à relever : ils et elles ne lisaient alors presque plus de livres québécois. Ce qui confirme ce que je disais au début, que la littérature québécoise n’a longtemps rien produit qui réponde à ce type de préoccupations.

Les auteurs ? Ils écrivent tous sous des pseudonymes, Hercule Valjean, Max Romier, Gilles Brodeur, Marcel Lenoir, etc. Ils étaient sans doute des dizaines mais très peu ont été identifiés formellement.
Le plus connu : Pierre Saurel, auteur du très populaire IXE-13, alias Pierre Daigneault, folkloriste et comédien, surtout connu aujourd’hui pour son rôle du père Ovide dans « Les Belles Histoires des Pays d’En Haut ». Il a aussi écrit une bonne partie des aventures du « Domino Noir » et d’autres feuilletons, changeant allègrement de pseudonyme au besoin. On sait qu’Yves Thériault a aussi prêté sa plume à divers pseudonymes.

Ce qui explique que ces histoires étaient mal et rapidement écrites. Mal écrites parce que rapidement : un épisode par semaine de chaque série, chaque auteur écrivant plusieurs épisodes de plusieurs séries, fréquemment sous plusieurs pseudonymes. (Thériault en aurait écrit jusqu’à 12 épisodes par semaine !). Il arrivait qu’un feuilleton soit écrit par plusieurs auteurs se relayant sous le même pseudonyme, sans toujours s’être lus mutuellement, d’où de fréquentes incohérences dans les récits. Par exemple, dans certains épisodes, tout un chacun connaissait la véritable identité du Domino Noir, gardée jalousement secrète dans d’autres. Le réalisme n’était pas, non plus, une préoccupation majeure : dans un des premiers épisodes d’IXE-13, on voit l’as des espions participer à … la prise de Berlin avec les troupes canadiennes !

Désapprouvée par le clergé et ignorée par le milieu littéraire, cette littérature populaire disparut aussi rapidement qu’elle était apparue, tuée, sans doute, par la télé, le cinéma et les bandes dessinées importées. Les derniers IXE-13 furent publiés en 1967. J’avais 8 ans. Quatre ans plus tard, lorsque le film de Godbout sortit sur les écrans, j’ignorais totalement qu’une telle littérature eut déjà existé.

C’est quoi, la devise du Québec, déjà ?

Pour en savoir plus :

M. Jean Layette tient depuis 2000 un site consacré à la littérature québécoise en fascicules, c’est à voir ! Voici le lien :

http://www3.sympatico.ca/collectionantiqueduquebec/liquefasc/

En 1989, un projet de recherche du Centre de Recherche en Littérature québécoise, dirigé par M. Denis Saint-Jacques a débouché sur l’édition d’une anthologie proposant des épisodes de plusieurs feuilletons de la période 1940-1960 et mettant en scène des héroïnes :

Milot, Louise, Aurise Deschamps, Madeline Godin
Le cœur à l’aventure
Montréal, Nuit Blanche, Éditeur, 1989,372 p.
http://openlibrary.org/b/OL20379595M/Coeur-%C3%A0-l%27aventure

« Avez-vous déjà lu IXE-13, Albert Brien, Guy Verchères…? »
Sylvie Provost
Études littéraires, vol. 15, n° 2, 1982, p. 133-164.
http://www.erudit.org/revue/etudlitt/1982/v15/n2/500571ar.pdf

Et des extraits du film de Godbout sont visibles sur Youtube :
http://www.youtube.com/results?search_type=&search_query=IXE+13&aq=f

dimanche 7 juin 2009

Histoire d'histoires...


Le temps des romans à dix sous. (1ère partie)


Depuis que je sais lire, j’ai une dent contre la fiction québécoise. Durant mon enfance et mon adolescence, les auteurs d’ici n’ont pas produit grand-chose pour susciter mon intérêt. Romans, téléromans, films, rien ne trouvait grâce à mes yeux, du moins jusqu’aux années 1980 (après, ça a commencé à changer). Comme beaucoup de jeunes je « trippais » sur les histoires d’action, de suspenses, d’insolite. Science-fiction, fantastique, polar, thrillers d’espionnage, voilà ce qui était ma tasse de thé, que ce soit à la télé, au cinéma, en roman ou en B.D.
Or, de ce point de vue, dans la deuxième moitié des années 1960 et dans les années 1970, tout était étranger. Les « héros », qu’ils soient capitaines de vaisseau spatial, espions, pilotes, détectives ou explorateurs étaient invariablement américains, français, britanniques, japonais, belges, parfois néerlandais, mexicains ou italiens mais jamais québécois. Un seul « Canadien » : Dan Cooper l’as de l’aviation… héros d’une B.D. belge. Les Français produisaient des films policiers et d'espionnage, les Belges des B.D., les Japonais des gros monstres, les Italiens des péplums et des western, les Chinois des films de Kung-Fu, les Britanniques étaient les spécialistes de l'horreur gothique. Les séries télé d'action venaient des États-Unis ou de Grande-Bretagne, mais parfois du Japon (surtout les dessins animés) mais aussi d'ailleurs. Et ici ?
Le roman québécois semblait ne se composer que de romances sombres mettant en vedette des losers mijotant dans leur auto-apitoiement. Les téléromans ? Des petits drames familiaux se résumant à des chicanes de cuisine. Quand il se passait quelque chose, on ne le voyait pas, on en entendait parler ! Le cinéma québécois ? À l’époque, on n’y voyait qu’antihéros souffreteux, théâtre d’été filmé ou « films de cul ».
Vraiment, il semblait possible d’imaginer un monde plus excitant dans tous les pays, sauf ici. Il semblait possible d’imaginer un individu triomphant contre l’adversité dans tous les pays sauf ici. Il semblait possible de trouver des récits captivants dans l’histoire de tous les pays, sauf ici. Il semblait possible d’imaginer le futur dans tous les pays, sauf ici.

Ça n’avait pourtant pas toujours été comme ça. Je me souvenais, qu’au début des années 60 (mais j’étais alors bien petit…), il y avait eu, à la télé québécoise, des séries historiques, policières, fantastiques, tout à fait comparables à ce qui se faisait ailleurs. Il y avait eu Radisson, Les Enquêtes Jobidon, le Courrier du Roy, le Grand Duc, Ti-Jean Caribou.
Tout ça était bien disparu quand je commençais à aller à l’école. L’ « action », c’était alors « Batman », « Ultraman », Super-Bolide (alias « Speed Racer ») Hawaii 5-0, les Envahisseurs, Bob Morane, Tintin, Astérix, etc.
Ce fut l’époque où je commençais à m’intéresser à l’écriture, tout d’abord par le biais de la B.D. Je créais des bandes dessinées sur du papier recyclé que mon père ramenait de l’usine. Histoires d’aventures, de science-fiction, fantastique… toujours très exotiques. J’étais totalement incapable d’imaginer de telles histoires se passant au Québec. Tous mes héros avaient des noms anglo-saxons et vivaient à Los Angeles, Londres ou New York.
Ce malaise était d’ailleurs très répandu. Un jour dans la cour de l’école, je rencontrai un gars, qui faisait, lui aussi, des B.D. J’étais heureux de rencontrer enfin quelqu’un qui partageait mes intérêts, ça me faisait sentir moins « freak ». Ce fut d’une longue amitié et, de samedi en samedi, nous rencontrions pour partager nos créations. Pendant un moment, il y eu même une sorte de petit club de 4 ou 5 bédéistes en herbe. Ils avaient tous le même problème que moi en ce qui concernait les personnages québécois (ou canadiens-français, comme nous disions alors).
Lorsque nous évoquions la possibilité de créer un héros francophone, c’était sur le mode de la parodie, pour plaisanter. La chose paraissait absurde en soi.
Puis, un samedi de 1971, je feuilletais la revue « Perspectives » (qui venait en supplément du journal Le Soleil chaque fin de semaine) et j’aperçus une photo d’un curieux décor avec des comédiens québécois connus en uniformes nazis. En grosse lettres colorées, un titre : IXE 13.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? », me demandai-je. On parlait d’un film qui allait bientôt sortir. Film de Jacques Godbout, musique de François Dompierre et, distribution : Louise Forestier, les quatre compères du groupe Les Cyniques: André Dubois, Serge Grenier, Marc Laurendeau et Marcel Saint-Germain, plus Carole Laure, Diane Arcand, Luce Guilbeault, Jean-Guy Moreau, Louisette Dussault et même les lutteurs nains Little Brutus et Sky Low Low !
Dans l’article, j’apprenais que ce film était une adaptation d’une série de romans de Pierre Saurel, mettant en vedette un personnage qui avait été extrêmement populaire : IXE 13, l’as des espions canadiens.
Alors que je commentais l’article à voix haute, ma mère, qui se trouvait non loin, dans la cuisine, me dit à peu près ceci : « IXE 13 ? Ah oui ! J’aimais ces livres-là, ça a été extrêmement populaire. Tout le monde lisait ça. C’était des « romans à dix sous ». »
L’article du « Perspectives » mentionnait, effectivement, que les « romans à dix sous », publiés en épisodes hebdomadaires, avaient été une forme de littérature très populaire avant la télé.
J’étais à la fois fasciné et frustré : moi qui lisais beaucoup, je n’en avais jamais entendu parler.
Dans une vieille armoire de la maison, se trouvaient encore quelques exemplaires de ce qui avait été les lectures de ma mère : de vieux numéros jaunis des aventures de IXE 13, ainsi que d’un autre personnage totalement inconnu pour moi, «Le Domino Noir ». C’étaient des fascicules d’une quarantaine de pages, imprimés sur du papier journal, avec une couverture monochrome illustrée. Je les lus avec fascination. Comme ça, il avait déjà existé, ici au Québec, une forme de littérature populaire !
Évidemment, je suis allé voir le film. Une comédie musicale (genre peu pratiqué ici, également) joyeusement éclatée. « IXE 13 » fut cependant un flop au box office. J’ai toujours considéré que c’était un des films les plus sous-estimé de cette période du cinéma québécois.
Il a fallu des décennies avant que j’en apprenne davantage sur ce qu’avaient été ces fameux « romans à dix sous ».
De quoi s’agissait-il donc ?
La suite la semaine prochaine.
P.S. : "Histoires à Dormir Debout !" est aussi une émission de radio !
Tous les dimanches à 13h et les jeudi à 18h sur CJRD FM 88,9 à Drummondville.
Animée par Claire Tessier.
Accessible en direct sur le web au www.cjrd.ca