dimanche 10 mai 2009

Histoire d’éthique


On parle beaucoup des problèmes éthiques des politiciens ces jours-ci.
Entre la commission Oliphant qui enquête sur les possibles malversations de l’époque Mulroney, le conflit d’intérêt d’un ministre provincial pour qui on change les règles, l’affaire des compteurs d’eau à Montréal, les magouilles autour des FIERS, il y a beaucoup de questions qui se posent sur ce qu’on fait des deniers publics. Et sur le sens de l’éthique de certains de nos dirigeants.

Ça ne date pas d’hier. La première écoute électronique à avoir eu lieu au Québec, visait précisément à révéler un scandale.

Députés sous écoute...

En 1913, le parti libéral forme le gouvernement de la province de Québec depuis 16 ans. Lomer Gouin (photo) est premier ministre depuis 1905. Des rumeurs courent sur la corruption des députés au pouvoir. On dit que des contrats sont obtenus grâce à des pots-de-vin mais les preuves manquent. Cette même année, un nouveau journal est fondé, le Montreal Daily News, très proche du parti conservateur. Désireux de mettre la main sur un « scoop » qui fera connaître leur journal, le directeur, E. Nichols et le rédacteur en chef Brenton A. MacNab se décident à investir près de 50 000$ pour prendre des députés libéraux en flagrant délits.
Ils contactent une agence de détective privés célèbre des États-Unis, l’agence Burns qui leur envoie quelques détectives qui se font passer pour des hommes d’affaire. Ils se prétendent les représentants d’une entreprise spécialisée dans l’organisation de foires, expositions et événements de ce type, la Montreal Fair Association. Ils débarquent à Québec et s’installent au château Frontenac d’où ils contactent le président du comité des bills privés à l’Assemblée législative, M. Joseph-Octave Mousseau. Le député libéral les rencontre dans la chambre 369. C’est là qu’ils lui propose un projet de loi (« bill ») qu’ils ont rédigé eux-mêmes et qui exempterait la Montreal Fair Association des lois sur l’alcool et le jeu ainsi que de plusieurs taxes et impôts.
Pour aider Mousseau à convaincre le gouvernement d’adopter le bill en question, ils ont préparé plusieurs enveloppes contenant des sommes d’argent substantielles à distribuer en pot-de-vin. Mousseau accepte l’argent... sans savoir que dans les murs de la chambre 369 se trouvent des micros Marconi reliés à un appareil appelé « détectaphone ». Des écouteurs permettent à des sténographes assermentés, installés dans une autre pièce, d’écouter la conversation et de la retranscrire.
Le détectaphone (genre de central téléphonique portatif) appartient à l’agence Burns qui s’en sert fréquemment pour des enquêtes. Mousseau vient d’être victime de la première écoute électronique dans l’histoire du Québec.
En décembre 1913, le projet de loi rédigé par les « hommes d’affaires » est présenté au parlement par Mousseau (bill privé no 158). Il est accepté sans aucun amendement, puis est adopté par le Conseil législatif (Sénat provincial, aujourd’hui aboli) en janvier 1914. Il est présenté par le conseiller Achille Bergevin.
Une semaine plus tard le Montreal Daily Star commence à publier les détails de l’affaire, incluant la retranscription de la conversation tenue dans la chambre 369. Le 22 du même mois, Armand Lavergne député nationaliste indépendant, interpelle le gouvernement sur ce sujet en chambre et exige une enquête publique. Il harcèle le gouvernement et, apuuyé par plusieurs journaux, finit par obtenir que l’enquête ait finalement lieu.
Les rédacteur du journal comparaissent devant les députés. Heureusement pour le gouvernement, Mousseau n’a pas nommé tous les bénéficiaires des pots-de-vin.
Finalement Mousseau, Bergevin et un autre Conseiller législatif incriminé, Louis-Philippe Bérard, devront démissionner.
L’affaire occupe la première page des journaux. Le parti libéral accuse les journalistes de salir la classe politique toute entière. En février, Charles Lanctôt, assistant du procureur général (Ministre de la Justice) impliqué dans l’affaire, attaque physiquement Brenton MacNab. Il doit plus tard lui présenter des excuses.
Le bill 156 est finalement abandonné à cause du scandale. La Première guerre mondiale sauvera sans doute le gouvernement de Lomer Gouin en dirigeant l’attention de la presse vers le conflit, ce qui fera oublier le scandale. Les libéraux resteront au pouvoir jusqu’en 1936. Bergevin fera un retour en politique et sera élu député de Beauharnois en 1919. Mousseau connaîtra une belle carrière d’avocat.
Damase Potvin, correspondant de La Patrie à Québec, rassemblera ses notes sur ses événements et en tirera un roman Le Membre...

Comme qui dirait : Rien de neuf sous le soleil de ce côté-là. Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie !


Attention ! De nouvelles émissions de « Histoires à Dormir Debout ! » seront diffusés à partir du 14 mai sur les ondes de CJRD 88,9 FM Radio Drummond. Vous pouvez les écouter en direct sur le web au http://www.cjrd.ca/
Tous les jeudi à 18h avec une reprise le dimanche à 13h !
Je raconte une nouvelle histoire chaque semaine en répondant aux questions de Claire Tessier !

Source de la photo : université de Sherbrooke.
http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/23354.html