dimanche 14 décembre 2008

Histoire de Noël (ou des Fêtes ?)


Avez-vous peur qu’on vous enlève votre arbre de Noël ?

Parce que, paraît-il que c’est un danger pressant.

L’ex-chef de l’ADQ a soulevé cette question fondamentale durant la dernière campagne électorale : les « multiculturalistes » tenteraient d’enlever aux Québécois toutes leurs traditions.
Il n’a pas dit « les immigrants » ou les « musulmans ». Ses partisans, eux, ne s’en sont pas privés sur les blogues et tribunes radiophoniques.
Ce qui est assez drôle car je n’ai pas entendu un seul immigrant parler de la question. Ça se passe entre « pures laines ».

Pour ajouter de l’huile sur le feu, le Journal de Montréal a fait sa une (!) avec le fait que le Premier Ministre Jean Charest a fait corriger un communiqué où l'on parlait de « sapin des fêtes » et remplacer l’expression par « sapin de Noël ». Et si c’est en première page de la presse à Péladeau, ça doit être important. En tout cas, ça a dû aussi faire les manchettes des nouvelles TVA. Vous voyez bien que c’est important…

Remarquons qu’il y a trente ans, on nous faisait peur en nous disant que nous allions « perdre nos Rocheuses » si le Québec devenait indépendant. Maintenant, nous risquons de perdre nos arbres de Noël si nous ne nous « tenons pas debout » Il me semble que c’est moins gros, comme peur… et pas mal moins précis comme solution.

Néanmoins pour combattre cette odieuse entreprise « dénationalisatrice» de la gauche « cosmopolite » comme dirait le Chanoine Groulx, je vais raconter l’histoire d’une de « nos traditions de Noël ».

L’histoire du Minuit, Chrétiens ! Ce classique des Fêtes.

J’ai, un jour, entendu quelqu’un me dire que tout homme canadien-français ayant au moins un filet de voix avait rêvé de chanter le Minuit Chrétiens ! à la messe de minuit, une fois dans sa vie.

Est-ce assez traditionnel et national, ça, ma chère ?

Eh bien, savez-vous quoi ?

Le Cardinal Rodrigue Villeneuve, archevêque de Québec de 1931 à 1947 recommandait fortement à ses fidèles de ne pas chanter le Minuit Chrétiens ! durant la messe de minuit. Certains diocèses et paroisses de la Belle Province obéirent, d’autres pas car les fidèles réclamaient cette chanson à leurs curés.

Le brave Cardinal n’avait pas pensé à ça tout seul. Il n’a fait qu’emboîter le pas à une campagne menée en France contre la décadence de la musique religieuse par la Schola Cantorum du comte Vincent d’Indy, institution vouée à la musique d’église. Le brave comte avait écrit et fait écrire une grande quantité d’articles très virulents où Minuit Chrétiens ! était traité, entre autre, de « musique d’ivrogne ».

Les musiciens d’église jugeaient la pièce « théâtrale », de « mauvais goût », « vulgaire ».
Les clercs estimaient certaines expressions du texte, tel « l’homme dieu » et « de son père arrêter le courroux », non-conformes à la théologie. Bref, ce chant n’était pas très catholique.

Musique d’ivrogne ? Pas catholique ? Le Minuit chrétien ! Où est-ce qu’on s’en va ?

Parlons un peut des origines de ce chant.
Le compositeur, Adolphe Adam, (1803-1856) était d’origine juive et, de plus, musicien de théâtre. Pas totalement oublié aujourd’hui puisqu’il est l’auteur du ballet Giselle, encore présenté de nos jours, et de nombreux opéras légers. Sauf que l’Église a toujours condamné le théâtre et que les Juifs, au XIXe siècle, étaient encore le peuple « déicide » aux yeux de la hiérarchie et des fidèles.
Ça ne s’arrange pas avec l’auteur des paroles, Placide Cappeau, (1808-1877), marchand de vin de Roquemaure, franc-maçon notoire, conseiller municipal connu comme anticlérical dans son patelin. Il travaillait pour la société Auguste Bessy, Clerc fils et Cappeau, fondée en 1836.
Plus grave, il y avait les rumeurs entourant la naissance de la mélodie : Cappeau aurait écrit le texte pendant une joyeuse beuverie. Adam aurait recyclé un air de ses opéras et offert le cantique comme cadeau à sa maîtresse.

Et puis, la mélodie n’a rien à voir avec la musique d’église traditionnelle. Elle tient plutôt de la marche militaire. Et les paroles !

« Le Rédempteur a brisé toute entrave
La Terre est libre ou le ciel est ouvert
Il voit un frère ou n’était qu’un esclave.
L’Amour unit ceux qu’enchaînait le fer »


Une « Marseillaise religieuse » selon Adam. Pour bien juger de l’impact de ce commentaire, il faut se souvenir qu’au XIXe siècle, la Marseillaise était encore un chant révolutionnaire. Pas un bon catholique conservateur (et encore moins un prêtre) ne se serait fait prendre à chanter l’hymne républicain.
Pour revenir au Minuit, Chrétiens ! l’œuvre fut chantée pour la première fois à l’église de Roquemaure, le 24 décembre 1847 par madame Emily Laurey. Le titre était à l’époque Noël. L’usage s’est établi de l’identifier aux premiers mots du chant.

Le 24 décembre 1847, c’est deux mois avant la Révolution de 1848, qui allait renverser la monarchie de Louis-Philippe 1er et établir la IIe République française. Le texte original était un peu différent du texte final, semble-t-il. Presque un appel à la révolte, selon Floriant Bernard, directeur de chorale montréalais. Le Larousse de la Musique de 1957 le décrit comme un « poème épique anticlérical ».


D’où certaines réticences à l’identifier à la plus grande fête chrétienne.
Mais, si la nouvelle chanson était controversée aux yeux de l’Église, son succès populaire fut instantané.

L’organiste Ernest Gagnon, de Québec l’entendit à Paris en 1857 et l’introduisit au Bas-Canada l’année suivante. Il fut chanté dans l'église de Sillery près de Québec par la fille aînée du juge René-Édouard Caron (plus tard lieutenant-gouverneur de la province) et accompagnée par Ernest Gagnon. Ironiquement, cet air qu’on identifie tellement à des voix de ténor fut tout d’abord chanté par des femmes.
Le succès fut colossal au Canada français. Néanmoins, en 1859, la controverse européenne se retrouva dans les journaux du Bas-Canada. Dans L'Ère Nouvelle des Trois-Rivières et Le Journal de Québec Ernest Gagnon et Antoine Dessane (1826-1873), un musicien français de renom installé au Canada ferraillèrent au sujet du Minuit, Chrétiens ! Dessane semblait particulièrement irrité du fait que le Noël d'Adam ait été proposé au public canadien par quelqu'un d'autre que lui. À la longue, Dessane perdit la faveur du public.
En 1905, Gagnon alors âgé de 71 ans, se demandait toujours si le Minuit, Chrétiens ! vivrait encore longtemps.
Nous connaissons la réponse. Chanter le Minuit Chrétiens ! à la messe de minuit fut longtemps un honneur réservé à un notable si on en trouvait un pourvu d’un « bel organe » comme on disait alors. Sinon, c’était la tâche du maître chantre de la paroisse.
Pas trop catholique, l’hymne est aussi chanté aussi chez les protestants. O Holy Night !

Il a été enregistré par des voix aussi célèbres que Caruso, Tino Rossi Pavarotti, Raoul Jobin, Richard Verreau … Et Johnny Farago.

On a les traditions qu’on peut.

Dans le fond la chicane autour du fait de dire « arbre de Noël » ou « arbre des Fêtes » relève aussi d’une longue tradition : la controverse autour des symboles de Noël.


Cette histoire, et quelques autres, fera l’objet des « Histoires à Dormir Debout ! Spéciales du temps des fêtes » à la radio CJRD 88,9 FM à Drummondville. Une série de capsules de 5-10 minutes diffusées les mardis et jeudis à 10h20 et 13h20 durant les vacances de Noël.

On peut nous écouter en ligne au : http://www.cjrdfm.com/

Photo : Le Yéti de Noël. Œuvre orignale de Claire Tessier…

dimanche 9 novembre 2008

Histoire américaine

Obama ou le chemin parcouru


Souffrez-vous d’Obamanie ? Ça semble avoir été une épidémie cette semaine, à la suite de l’élection du premier « Afro-américain » à la Maison-Blanche.

À lire les gros titres de nos gros médias, ce n’est rien de moins qu’une Révolution. « Vote historique » , « Moment le plus important depuis la chute du mur de Berlin », chacun y est allé de son hyperbole. «
« La fin des années monstrueuses » écrivait Paul Krugman, récipiendaire du prix de la Banque de Suède en économie à la mémoire d’Alfred Nobel (improprement appelé prix Nobel d’économie), signalant par là qu’on allait laisser derrière les années Bush avec leurs activisme militaire, leur politique de laissez-faire financier et leurs attaques contre les libertés civiles. D’autres se réjouissaient de voir renaître une Amérique « libérale et généreuse ». On est aux limites du messianisme.
Jusqu’à nos pathétiques politiciens provinciaux qui tentent de se grimer en Mariobama et Obamarois.

Un chef d’État accédant au pouvoir sur une telle vague d’espoir ne peut que décevoir.

Les différences d’Obama avec la clique Bush-McCain en ce qui concerne les grands dossiers sont de l’ordre de la nuance. Il veut privilégier la guerre en Afghanistan plutôt qu’en Irak (même si les Britanniques viennent de conclure que la guerre en Afghanistan est perdue), veut fermer Guantanamo (mais pas l’ensemble de l’archipel de prisons secrètes éparpillés par les USA à travers le monde. Bref, il fermera la plus visible) veut abolir les dispositions « mauvaises » du Patriot Act (j’ai hâte de voir lesquelles sont les bonnes). Il veut aussi de plus dures sanctions contre l’Iran, resserrer l’embargo contre Cuba et reconnaître Jérusalem comme capitale « indivisible » d’Israël. On n’est pas ici dans le grand virage mais tout au plus dans l’ajustement.
Bientôt les lendemains qui déchantent.

Moi je suis plutôt de l’avis de Michael Moore : il faut souhaiter que Barack Obama brise toutes ses promesses car ses promesses, c’est « business as usual ».


Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de raison de se réjouir de l’élection de Barack Obama.

La bonne nouvelle c’est qu’il y a eu suffisamment d’Américains prêts à voter pour un Noir comme président. Et ça, ça représente un bond de géant pour les Etats-Unis, même si les politiques de ce président ne sont, elles, qu’un petit pas…

Pour en juger, il suffit de se souvenir de certaines données historiques.

Avez-vous déjà entendu parler de lynchage ? Dans le Sud des États-Unis, il était extrêmement courant, à une certaine époque, qu’une foule de Blancs, bons chrétiens et bons citoyens payeurs de taxes, sous un prétexte quelconque, décident de faire un mauvais sort à un ou plusieurs Noirs. (Voir première photo)

Entre 1890 et 1930, au moins 3 000 Noirs furent lynchés. Mais ça, ça n’est qu’un chiffre. Comment ça se passait ? Voici un exemple :

Norman Finkelstein, professeur de sciences politiques, résume la description faite par le New York Tribune d’un lynchage en Géorgie, au tournant du XXe siècle siècle : “Sam Hose [...] a été brûlé, attaché à une poteau sur une route publique, à un mile et demi d’ici. Avant que la torche n’allume le bûcher, les Nègre a eu les oreilles, les doigts et d’autres parties du corps coupés, avec une violence surprenante. Avant que le cadavre ait refroidi, on le découpa, les os furent brisés en petits morceaux. L’arbre lui-même où le malheureux avait rencontré son destin fut mis en pièces, pour en faire de souvenirs. Le coeur du nègre fut coupé en plusieurs morceaux, son foie aussi. Ceux qui n’avaient pu se procurer directement ces horribles reliques payèrent des sommes extravagantes pour en obtenir des plus chanceux. Des petits fragments d’os atteignirent la somme de 25 cents et un petit morceau de foie, frit, 10 cents.”

Selon un autre chercheur : « Les journalistes notèrent une active participation des notables de la région[...]Un des participants qui devaient retourner à la capitale exprima son désir de remettre une tranche du coeur de Sam Hose au gouverneur de Géorgie.”

Et, aux États-Unis, la loi n’était pas la même pour tout le monde, par exemple, autrefois, le viol était puni de mort en Virginie. Cependant, “entre 1908 et 1972, seuls des Noirs ont été exécutés en vertu de cette loi, alors que 45% des personnes condamnées pour viol étaient des Blancs.[...]. En 1950, des avocats ont interjeté appel de la condamnation pour viol de sept Noirs au motif que seuls des Noirs étaient exécutés pour ce crime. Mais la cour suprême de Virginie a rejeté appel [...] et les sept condamnés ont été exécutés.”
“Ces résultats sont confirmés par une étude effectuée en 1981 en Floride. En 1976 et 1977, sur 326 meurtres perpétrés entre personnes de races différentes, 5,4% des cas où la victime était noire ont entraîné une condamnation à mort ; en revanche, ce pourcentage atteignait 14% lorsque la victime était blanche. Cette étude démontre également que 53,6% des cas où la victime était noire ont entraîné une inculpation de meurtre qualifié ; cependant si la victime était blanche, ce pourcentage s’élevait à 85%”
Source : Plumelle-Uribe, Rosa Amelia La férocité blanche Paris, Albin Michel, 2001, 334 p.

Au cours du vingtième siècle, plusieurs projets de loi ont été présentés au Congrès fédéral pour criminaliser cette pratique en permettant de poursuivre les personnes qui auraient assisté à ces meurtres sans les dénoncer aux autorités. Tous ces projets, sans exception, ont été bloqués au Sénat. Le dernier lynchage officiellement reconnu a eu lieu en 1964. Le Sénat s’est excusé en 2005…

Pour bien mesurer le changement que représente l’élection d’Obama, citons une anecdote survenue en 1951, alors qu’un groupe de diplomates américains présents pour une conférence au Luxembourg furent invités à un concert donné par les Jubilee Singers of Fisk University, une chorale noire en tournée européenne et qui se produisait fréquemment devant les chefs d’État et têtes couronnées. . La réponse ? “We have been trained as Foreign Service Officers and we are not interested in negroes of any kind.’
Source : The Cold War and the Color Line by Thomas Borstelman
Du chemin a été fait mais tout n’est pas encore fait, il s’en faut de beaucoup.

En 1998, sur les 1838 procureurs de district aux États-Unis, 22 étaient noirs, 22 étaient hispano-américains ou issus d’autres minorités ethniques et tous les autres (soit 1 794) étaient des Blancs.

“Thomas J. Keil et Gennaro F. Vito, deux chercheurs de l’université de Louisville, dans un travail portant sur “La race et les procès pour meurtre au Kentucky”, publié en 1995 dans la Revue américaine de justice pénale, ont fait le constat suivant : “Alors qu’un nombre à peu près équivalent de Blancs et Noirs sont victimes de meurtres aux États-Unis, 82% des prisonniers exécutés depuis 1977 avaient été reconnus coupables du meurtre d’une victime blanche. Au Kentucky, toutes les condamnations à mort prononcées jusqu’en mars 1995 concernaient le meurtre d’une victime blanche, alors que plus de 100 Noirs avaient été victimes d’homicides dans cet État.”
Il y a aussi cet article du Chicago Tribune du 13 janvier 1999 sous le titre “L’envers d’un procès équitable” : “Michael Goggin, ancien procureur du comté de Cook, dans l’Illinois, a récemment admis que le bureau du procureur de district avait organisé un concours pour voir quel procureur aurait le premier atteint, par le nombre d’accusés qu’il faisait condamner, un poids de total de 4000 livres [environ 2000 kilos]. Les hommes et les femmes en cours de jugement étaient amenés dans une pièce et pesés. La plupart des accusés étant noirs, ce concours avait été surnommé “Niggers by the Pound”, “Des Nègres au kilos”
Source : Plumelle-Uribe, Rosa Amelia La férocité blanche Paris, Albin Michel, 2001, 334 p.


La justice est censée être aveugle. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle perçoit encore les couleurs.

Obama va-t-il s’attaquer à ces vestiges de racisme institutionnalisé ? Rien ne l’indique mais on peut toujours l’espérer.

Il serait absurde de ne pas voir le chemin parcouru et les changements qui ont été accomplis grâce au travail de milliers de militants, d’hommes politiques (hé oui, quand même quelques-uns !), d’artistes, de journalistes. Les lois de ségrégation ont été abolie et on a vu des Noirs occuper des postes importants, y compris dans des administrations pas forcément progressistes (qu’on pense à Condi et Colin Powell).

Il serait également absurde de ne pas voir ce qu’il reste à faire.

Peut-être la meilleure conclusion se trouve-t-elle sur un monument, à Tulsa, Oklahoma, qui commémore une émeute meurtrière qui détruisit le quartier noir de la ville en 1921.(Voir les 2 autres photos)

On peut y lire :

Les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être
Les choses ne sont pas ce qu’elles pourraient être
Mais Dieu merci, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient.


Ici plogue ! Si vous voulez en savoir plus sur cette émeute, lisez mon livre Histoires à Dormir Debout ! http://www.manuscritdepot.com/a.andre-pelchat.1.htm



Source des photos
Lynchage : Life Magazine
http://www.digitaljournalist.org/issue0309/lm18.html
Émeute de Tulsa :
http://www.momisteaching.com/
http://www.legendsofamerica.com/









samedi 25 octobre 2008

Histoire de chasse

Puisque c'est l'automne, que les feuilles tombent et que c'est le temps de la chasse, voici une histoire de chasse que me racontait ma grand-mère. Une petite légende que je n'ai jamais entendu ailleurs.
Comment les pères conjurèrent le caribou


Autrefois, il y avait du caribou dans l’actuel parc des Laurentides, au nord de Québec. On n’en trouve plus guère aujourd’hui aussi loin au sud. Mon grand-oncle Jean-Baptiste, qui vivait dans la région de Stoneham et a été le plus vieux citoyen de la province de Québec à prendre son permis de chasse - à l’âge de 92 ans !- , se souvenait encore, dans les années 1960, avoir chassé le caribou près de chez lui.
Sa sœur, Rose Délima, était ma grand-mère, et mon père, grand chasseur devant l’éternel, se rendait parfois dans la région de Stoneham pour chasser l’orignal. C’est là que mon grand-oncle nous racontait ses histoires d’autrefois, en compagnie de ses deux sœurs, ma grand-mère et ma tante Manda. Ce sont ses sœurs qui m’ont raconté comment il se fait qu’il n’y a plus de caribou dans le parc.
Parce que lorsque ma tante Manda et ma grand-mère se rencontraient, on en était quitte pour une soirée à les entendre « se conter leurs peurs » comme disait mon père. Les « peurs » en question comprenaient des histoires de loups-garous, de feux follets, celle du diable beau danseur et bien d’autres que j’ai entendues et lues en plusieurs versions et qui font partie du folklore québécois.
Celle de la disparition du caribou des Laurentides, par contre, je ne l’ai jamais entendue ailleurs que de la bouche de ma grand-mère.
Ce qu’elle me racontait remontait avant son mariage, avant la Première guerre mondiale. Je la revois encore, assise dans la massive chaise berçante qui avait appartenue à son défunt Napoléon, mon grand-père. Moi, j’avais environ six ou sept ans et je m’asseyais sur un pouf, fasciné, pour écouter religieusement « mémère » me raconter ses histoires.

Saint-Adolphe-de-Stoneham, dans ce temps-là, n’avait rien de la station de ski qu’on connaît aujourd’hui. C’était un village perdu, sans même une charte municipale, où une dizaine de familles vivaient le long d’un chemin qui montait à pic comme dans la face d’un singe, vers le sommet d’une montagne couverte de forêts. Les terres appartenaient presque toutes au Séminaire de Québec et les habitants devaient encore payer des rentes aux « pères du Séminaire ».
Comme l’agriculture ne donnait qu’un rendement minable sur ces terres de roches, la chasse était une nécessité pour varier l’ordinaire. Outre les ours et orignaux qu’on trouve encore en abondance dans cette région, il y avait à l’époque une population importante de caribous des bois.
C’était avec l’idée de se procurer un peu de viande fraîche pour la famille que le cousin Baptiste est parti un beau jour d’hiver, raquettes aux pieds, avec son fusil à un coup, pour chasser dans l’immense forêt qui environnait le village. Baptiste était bon chasseur mais orgueilleux : il ne chassait que le gros gibier. Comme pour beaucoup d’habitants du coin, lièvres et perdrix n’étaient pas dignes d’un coup de fusil. Le petit gibier était tout juste bon pour les enfants qui posaient des collets. Un homme chassait le caribou. Et, dans le village, c’était toujours la compétition à qui ramènerait le plus beau spécimen avec le plus beau panache. On en oubliait parfois que le troupeau était surtout une réserve de viande. Or Baptiste avait aperçu un splendide caribou mâle, avec un splendide panache, et disait à qui voulait l’entendre que celui-là était pour lui.

Baptiste a dû marcher longtemps et la journée commençait à être bien avancée quand il a vu son premier gibier digne de ce nom. C’était le « buck » qu’il avait déjà aperçu. Baptiste était content : au moins 200 livres de viande et un trophée à faire pâlir tous les envieux du village.
Le cousin a chargé son fusil : d’abord la poudre, puis la bourre, puis la balle, puis on enfonce le tout avec sa baguette, puis on dispose l’amorce. Enfin prêt à épauler, il s’est aperçu que l’animal s’était éloigné et s’était immobilisé sous un grand sapin. Baptiste s’est approché prudemment, son fusil prêt à tirer.
L’animal s’est sauvé à nouveau et a disparu derrière un bosquet. Avec précaution, Baptiste en a fait le tour, sauf que, lorsqu’il a été en position de voir l’animal, celui-ci s’éloignait déjà en galopant. Le vieux fusil à baguette de Baptiste ne portait pas loin et il ne voulait pas risquer d’effrayer l’animal, ou de le blesser, et ainsi de le perdre pour de bon.
Baptiste a continu à poursuivre le caribou jusqu’à temps que le soleil soit couché.
Et là, Baptiste a réalisé que le caribou avait disparu et qu’il faisait noir.
Si il ne retournait pas sur ses pas avant que la poudrerie ait effacé ses traces, il était perdu.
Baptiste s’est donc mis à suivre ses propres traces mais elles disparaissaient déjà enfouies sous la neige poudreuse.
Après avoir tourné en rond en vain, incapable de retrouver son chemin, épuisé et transi, Baptiste s’est assis sous un arbre.
C’est sous cet arbre que des gens du village l’ont trouvé, plusieurs jours plus tard, mort gelé.
Il était à moins de cent pieds de chez lui.

Toutes les familles de Stoneham ont été horrifiées et, le prêtre venu officier pour les funérailles a vite su que Baptiste était mort en poursuivant un caribou, un splendide mâle que plusieurs chasseurs avaient vu mais que personne n’avait réussi à tuer.
Il en a aussitôt prévenu les Pères du Séminaires.

Ceux-ci on conclu que l’orgueil avait perdu Baptiste mais que c’était la faute du caribou. Seul le diable pouvait avoir envoyé cet animal pour tenter les pauvres habitants. Il fallait prendre des mesures et seule le Bon Dieu pouvait combattre le diable.

Ma grand-mère dit qu’il y a eu une grande cérémonie avec encens, cloches et goupillon, chants grégoriens, orgues et prières en latin, durant laquelle les Pères ont « conjuré » le caribou. Elle levait le ton (et le doigt) en prononçant le mot « conjurer » Je n’ai jamais su au juste ce que voulait dire « conjurer le caribou » mais, à six ans, assis sur un pouf avec ma grand-mère qui levait le doigt (et le ton) en me surplombant, c’était très impressionnant.
L’automne suivant, quand les chasseurs son partis dans les bois, ils ont vu des orignaux mais plus trace de caribou.

Selon Rose Délima , c’est depuis ce temps-là qu’il n’y a plus de caribou dans le parc des Laurentides. Cet animal a été « conjuré ».

dimanche 21 septembre 2008

Histoire d’école

Nostalgie éducative.


On a beaucoup parlé ces temps-ci dans les médias, de l’école et de la décadence de l’enseignement, du manque de motivations des élèves et des professeurs etc. Le bon vieux discours « le niveau baisse » fleurit. Et le petit Mario de l’Assemblée Nationale qui s’y met avec l’éloge des High School et voilà la nostalgie qui s’en mêle, avec l’habituel refrain du « c’était mieux autrefois ».
Les profs, entre autres, seraient moins compétents, paraît-il. Pas motivé, pas capable de contrôler leurs classes, etc.

Comme j’ai fêté mon demi-siècle cette année, je me suis dit qu’un peu de perspective historique ne nuirait pas au débat. Je vais piger dans mes souvenirs personnels.

Voici trois petites anecdotes, elles se sont passées à Plessisville, dans les années 60.

La première m’a été contée par mon frère, plus âgé que moi de 7 ans. Alors qu’il étudiait la soudure à l’école « d’arts et métiers », un religieux, enseignant au Collège des Pères Ste-Croix (dans l’édifice duquel se trouve aujourd’hui la polyvalente La Samarre), venait donner les cours de matières générales aux étudiants des « arts et métiers ».
Sa première phrase en entrant en classe était de s’exclamer, s’adressant aux étudiants :
« Comme vous n’êtes pas épanouis, comparés à mes étudiants du cours classique ! ».
Parfois, après cet exercice de motivation, il leur racontait son ambition de devenir un saint.

Le père était sûr qu’il était destiné à la sainteté depuis qu’il avait été attaqué par le Diable et avait dû lutter avec l’Esprit Malin jusqu’à ce qu’il entende la voix du seigneur qui criait « Lâche-le ! » et, le Diable l’avait lâché.
Non, ce n’est pas Fred Pellerin qui racontait cela à un public rigolard mais un enseignant à ces étudiants adolescents, avec tout le sérieux possible.

La deuxième, j’en ai été témoins alors que j’étais en 3e année du primaire, à l’école Chanoine-Boulet, toujours à Plessisville. En 1966.
L’enseignante était une religieuse. Un des élèves de la classe n’avait pas fait ses devoirs.
La religieuse l’engueule et, finalement, lui dit de retourner chez lui faire ses devoirs et de revenir avec un billet signé de ses parents. C’est là qu’il lui fait une réponse, à vrai dire peu diplomatique : « C’est de mes affaires, ça, christ ! ». La religieuse attrape le bambin de 8-9 ans par les cheveux et, avec une énergie qu’on ne lui soupçonnait pas, lui écrase le visage sur le mur de ciment de la classe. La trace de sang sur le mur faisait bien 7-8 pouces de long. Puis elle le pousse dehors, le sang dégoulinant de son nez sur son chandail. Après quoi on reprend la classe sans autres commentaire.
.Est-ce qu’il y a eu des suites ? Jamais entendu parler.

La troisième, je l’ai vécu en 6e année à l’école St-Édouard, toujours à Plessisville. En 1969. Cette fois, l’enseignante était une laïque. Une grande blonde en mini-jupe. C’était durant le cours de « catéchèse ». On en était à une partie où nous lisions des textes sur ce qui se faisait dans d’autres pays par des gens d’autres religions (Pour ceux qui pensent que cet aspect sera nouveau dans le fameux cours « d’Éthique et culture religieuse »…) .
On en arrive à un passage sur l’athéisme officiel soviétique. Et là, l’enseignante d’y aller d’une petite tirade.
« C’est sûr que nous n’aimons pas le régime soviétique mais ça ne veut pas dire qu’il ne s’y fait que de mauvaises choses. Après tout, les Russes ont eu de grands leaders. Qu’on pense à Hitler qui, malgré ses défauts, a fait de grandes choses pour le peuple russe… »
Voici Hitler devenu leader soviétique !
J’avais 11 ans et je savais que c’était une connerie gigantesque. Mais ai-je levé la main pour rectifier ? Non. Je me la suis fermé prudemment. Pourquoi ? Parce que je savais aussi, pour en avoir été témoins, que contredire cette enseignante, c’était s’attirer des taloches.
Alors plusieurs dans la classe sont sortis convaincus qu’Hitler était russe et, dans le fond, un bon gars. J’ai essayé de leur apprendre que ce n’était pas tout à fait ça mais à quoi bon ? « Hitler est russe, la maîtresse l’a dit. Penses-tu en savoir qu’elle ? Pourquoi c’est pas toi qui enseigne, d’abord ? ». Il n’y a rien à faire devant une pareille démonstration de compétence.

Alors la nostalgie ? Non merci, j’essaie d’arrêter…

P.S. : « Histoires à Dormir Debout » est également une émission de radio que vous pouvez entendre sur les ondes de CJRD 88,9 les jeudis soir à 23h, animée par Claire Tessier avec moi comme chroniqueur. Si vous êtes en dehors de Drummondville, vous pouvez écouter en ligne sur le www.cjrd.fm

Et, cette semaine, mardi le 23 septembre, je participerai à l’émission « Mêlons nous de nos affaires », animée par Alain Cossette, toujours à CJRD mardi soir à 18h. Attention : on va parler des élections fédérales ! Plus précisément : la religion dans la campagne et l’éventualité d’une coalition NPD-Bloc québécois.

mercredi 10 septembre 2008

Histoire d'anniversaire


Mon 9/11 à moi…

Nul doute que, cette semaine, les médias vont produire reportages, et « rappels » de toutes sortes pour souligner un anniversaire, celui du 11 septembre 2001. Pour une fois, je vais accompagner les médias et vous parler de « mon » 9/11.
Nombreux sont ceux qui ont vu, ce jour-là, sur leur écran de télé, les deux avions foncer dans les tours jumelles en croyant d’abord assister à une publicité pour un nouveau film -catastrophe hollywoodien.
Ça n’a pas été mon cas. Je n’ai pas suivi ces évènements en direct à la télévision, parce que j’étais à New York ce jour-là, en tant que guide-accompagnateur de touristes et que j’avais pour tâche de faire visiter Manhattan à 40 touristes français, dont le circuit de 10 jours, commencé à Montréal, devait se terminer à New York d’où ils devaient décoller pour la France le 12 septembre.
Tout se passait normalement. Nous avions quitté notre hôtel de Newark tôt pour pouvoir traverser le tunnel Lincoln avant la ruée des banlieusards qui viennent travailler. Nous devions visiter, en 4 heures, les principaux points d’intérêt de la Grosse Pomme avec l’aide d’une guide new-yorkaise. Après quoi, je devais les emmener manger dans le Chinatown, puis à la Statue de la Liberté et enfin leur donner un peu de temps pour faire les magasins.
Évidemment, ça ne s’est pas passé comme ça. Lorsque les avions ont frappé, nous n’avons eu connaissance de rien car nous roulions à l’opposé, vers le nord, en train de faire le tour de Central Park. C’est seulement quand nous avons tourné à droite sur la Cinquième, revenant vers le sud de la ville, que nous avons vu un immense nuage de fumée derrière les buildings. Nous ne pouvions même pas voir quels édifices étaient à l’origine de la déflagration.
-« Tiens ! Un gros feu ! » fut le seul commentaire de Simone, ma collègue new-yorkaise.
Et nous continuâmes notre visite, sans trop s’inquiéter. Je tentai néanmoins de rejoindre, avec mon cellulaire, le restaurant où nous devions manger le midi, me disant que, vu l’ampleur du sinistre, des rues étaient peut-être bloquées entre là où nous étions et le Chinatown et qu’ils pourraient peut-être m’indiquer le meilleur trajet. Pas moyen d’avoir une communication. C’est à ce moment que je remarquai le grand nombre de gens, sur les côtés de la rue, qui tentaient frénétiquement de téléphoner sur leurs appareils.
Ce fut là que, pour la première fois, je me dis que quelque chose d’anormal se passait.
À un coin de rue, quelqu’un interpella notre chauffeur et lui dit qu’un « hélicoptère » s’était écrasé sur une des tours du World Trade Center.
Au prochain arrêt-photo (à la Trump Tower), Simone tenta aussi de téléphoner, sans succès. Des passants parlaient d’un avion, de deux avions, un gros et un petit, un accident un attentat : aucune information précise n’était disponible. Simone devenait verte d’inquiétude, ses enfants se trouvant dans une garderie non loin du WTC.
Je trouvai un téléphone public pas trop achalandé dans un coin en face de la Trump Tower. Je ne rejoins qu’un répondeur au restaurant. Je décidai donc de téléphoner à mes patrons, à Victoriaville, pour savoir si il existait un autre numéro pour rejoindre le restaurant. Parce qu’un guide-accompagnateur n’a jamais qu’une seule préoccupation : faire le programme, quoi qu’il advienne !
Lorsque j’obtiens Victoriaville, je m’identifie et aussitôt, on me passe ma coordonnatrice, Ginette.
-« André, je suis content de t’entendre ! C’est une attaque ! » Et elle me décrit toutes les scènes que tout le monde a vu à la télévision, ainsi que la confirmation qu’il s’agit d’une attaque terroriste. J’entends, derrière elle, la voix de mon patron : « On a bouclé Manhattan ! » Puis : « Le maire vient d’annoncer qu’il veut évacuer l’île ! »
Décision : « Essaies de sortir de là ! »
Je raccroche et je remarque les chasseurs de l’armée de l’air qui volent en rase-mottes au dessus des buildings.
-« L’important, » me dis-je, « c’est qu’il y en ait au moins un qui ne panique pas. »
La place manque pour raconter les hésitations, les informations contradictoires, les tentatives de trouver un chemin de sortie, qui marquèrent cette journée. Je me fis le traducteur et l’interprète des infos que diffusait la radio, tentant de rassurer mes touristes tout en jouant le jeu de la transparence. Je ne leur cachai rien de ce que diffusait les infos, sauf quand on annonça que les deux tours s’étaient écroulées. C’était trop gros. Les deux plus hautes tours du monde n’existaient plus ! Je me dis qu’ils le verraient bien assez tôt à la télé…
Il nous fallut huit heures pour rentrer à notre hôtel au New Jersey par le Tappan Zee Bridge, avec huit millions de piétons dans les rues, deux policiers à chaque intersection qui dirigeaient le trafic loin des artères menant à des hôpitaux, réservées aux véhicules d’urgence.
Et, une fois passé le pont, à travers une circulation composée de milliers de véhicules conduits par des automobilistes paniqués, qui manquèrent plus d’une fois provoquer un accident.
Épreuve difficile surtout pour notre chauffeur.
Une fois à l’hôtel, j’appris que tous les aéroports du pays étaient immobilisés et que rien, sauf les appareils militaires ne pouvait survoler les USA sous peine d’être abattu ( à l’exception de l’avion de la famille Ben Laden mais cela ne se saura que quand ça n’intéressera plus personne…).
-« Mes touristes ne partiront pas demain, je suppose… » me dis-je.
Et effectivement, nous fûmes coincés 4 jours dans cet hôtel de Newark. Le budget du voyage étant épuisé les clients durent sortir leurs derniers dollars pour payer leur chambre d’hôtel, une nuit de plus, partager les chambres à 4 la nuit suivante et finalement, l’hôtel accepta de les loger gratis, ayant perdu tous ces clients pour une période indéterminée. La gérante dudit hôtel, Denise, fut d’un grand secours.
Durant cette période, essayant de maintenir la cohésion du groupe tout en évitant la panique et l’impatience, je « convoquais, plusieurs fois par jour, des réunions durant lesquelles je faisais le point sur la situation. Je traduisais et commentait les dernières informations sur la situation du transport aérien, l’ouverture éventuelle des aéroports, les tentatives de l’agence de leur trouver des places dans un avion pour la France. Je leur faisais aussi la revue de presse, traduisant les infos télévisées et les journaux et commentant la situation dans l’ensemble du pays et du monde (c’est là que ma formation en histoire me servit : Ben Laden ne m’était pas inconnu. Je me souvenais du premier attentat contre le WTC quelques années plus tôt et j’avais entendu parler d’Al-Qaeda.).
Finalement, on nous informa, le 15 septembre, que mes passagers avaient des places sur un avion en partance de… Montréal. Nous parcourûmes la distance New-York-la frontière canadienne en cinq heures !
Une fois à Dorval, il s’avéra que c’était une erreur : il n’y avait pas de places dans un avion pour la France… L’erreur provenant de la compagnie aérienne, celle-ci logea les voyageurs à ses frais pour une nuit et finalement, le lendemain, assiégée par une collègue déléguée par mes patrons qui s’installa littéralement dans leurs bureaux, trouva à mes Français des places en partance de… Boston !
À ce point, la collègue, Marie-Hélène me relaya pour amener mes clients à Boston (les adieux furent remplis d’émotion, comme il se doit) et ce fut la fin de mon périple.


Pt2
De retour chez moi, à Victoriaville, j’étais une vedette ! Effectivement, les médias locaux (dans lesquels j’étais déjà assez connu par mon travail à la Télévision communautaire) avaient appris que j’étais à New-York. J’avais eu droit à une interview par téléphone et à à ma photo à la une de l’hebdo local. On m’interpellait sur la rue et j’ai raconté mes mésaventures des dizaines de fois.
Une des premières personnes à m’interpeller fut un prof de philosophie au CEGEP de Victoriaville, qui se trouvait justement en Pennsylvanie au moment des attentats. Nous échangeâmes nos impressions.
Il me dit :
-« J’essaie d’utiliser cette tragédie pour faire éveiller un peu la conscience de mes étudiants face à ce qui se passe dans le monde. Ils ont tous été extrêmement choqués par ça. Ça a fait mal. Je leur dit : vous voyez comment ça fait mal ici. Et bien quand les Américains ou quelqu’un d’autre bombarde le Soudan, l’Irak ou la Serbie, dites-vous que ça fait aussi mal là-bas ! »
Je l’approuvais mais, en mon for intérieur, j’avais des doutes sur le succès de sa tentative.
Durant mon séjour au New Jersey, j’avais eu une bonne occasion de prendre le pouls de l’Amérique profonde et cette conscience humaniste que notre prof de philo avait voulu éveiller, je n’en avais pas vu le moindre signe. Au contraire, je la voyais étouffer sous le fanatisme, le racisme, l’hystérie guerrière et les ambitions impériales.
Dès le soir du 11 septembre, je voyais Pat Robertson à la télé accusant les « libéraux, homosexuels, féministes, laïcistes », d’être responsables de la tragédie. Les incidents racistes contre les gens d’origine arabe ou moyen-orientale, voire indienne, se multipliaient. Au bar de l’hôtel, où j’écoutais la télé, j’entendais les commentaires des clients.
-« Il faut bombarder la Palestine, tout de suite ! »
-« C’est une culture qui ne comprend que la violence ! » (Savoureuse, venant d’un Américain, celle-là…)
Personne ne s’inquiétait des lois votées en cachette la nuit, même pas lue par le congrès, permettant des arrestations sans mandat, la détention sans limite de suspects de « terrorisme », la suspension de l’habeas corpus.
Essayer de défendre l’idée qu’il faut une preuve pour accuser quelqu’un suscitait la réponse suivante : « Pas besoins de preuves : déportons tous ces fagheads ! » (nouveau surnom des musulmans).
Et le chauvinisme : « Nous serons en train de reconstruire demain. À l’étranger, ils seraient encore sur leurs culs à brailler… »
Les médias étaient devenus une machine de propagande au service de l’agenda républicain. Ça n’a pas changé depuis (Inutile de pointer les médias américains du doigt : les nôtres ne font pas mieux).
On nous « informait » qu’Oussama Ben Laden était terré dans un immense complexe de cavernes artificielles, équipés de dispositifs de sécurité ultramoderne, capable d’abriter des milliers d’hommes avec des missiles et peut-être des avions de combats,.
Les Talibans avaient expérimenté des armes bactériologiques. Quelques photos de cadavres de moutons devaient en être la preuve.
Évidemment, des responsables d’Al-Qaïda avaient des contacts avec Saddam Hussein…
On nageait en plein délire apocalyptique. Je ne crois pas qu’en Occident, on ait jamais entendu autant de mensonges à la minute en dehors de l’Allemagne nazie.
Remettre en question les déclarations de l’administration Bush était devenu un acte de trahison et, six ans plus tard, on en est encore là.
Le trou où se trouvait les tours jumelles semble devenu un gouffre par où sont sorties tous les démons de l’irrationnel. Ceux-ci ont mis le monde sous la coupe d’une alliance entre néo-conservateurs cyniques qui rêvent d’un empire au service des grandes compagnies, et les représentants de la droite religieuse, fanatiques qui préparent l’Apocalypse, frères jumeaux des Talibans.
Et depuis, ce sont nos libertés fondamentales qui sont remises en cause une à une (celles qui sont précisément censées nous distinguer des « intégristes musulmans ») : prisons secrètes dans les ex-pays communistes, enlèvements par la CIA dans les pays d’Europe, la torture réhabilitée. Les expéditions militaires se succèdent une après l’autre sous des prétextes de plus en plus farfelus, (d’abord les « armes de destruction massive irakiennes, maintenant la « menace nucléaire » iranienne et vous vous souvenez peut-être de l’histoire du « signe distinctif pour les Juifs », attribuée faussement au régime de Téhéran) . Quelqu’un a compté les mensonges proférés par Bush pour justifier la guerre en Irak : 935.
Les dirigeants des pays occidentaux signent en cachette des accords censés « promouvoir les échanges » tout en transformant les frontières en barrières de plus en plus étanches. Moins de 20 ans après la chute du mur qui séparait les deux Allemagnes, les murs poussent comme des champignons, entre Israël et la Palestine, entre les USA et le Mexique, entre les quartiers de Bagdad.
Les capitaux circulent comme jamais mais les individus ont de plus en plus de difficultés à passer les frontières.
La vraie tragédie du 11 septembre s’étend bien au-delà de New York et des 2 800 morts de cette journée-là.
Au dernier sommet de Montebello, on apprenait que « la liberté du commerce et la sécurité sont indissociables ».
Ah ? Oui ?
Nos gouvernants agissent de plus en plus selon les principes affichés au fronton du Ministère de la Vérité dans le 1984 de George Orwell :

La Guerre, c’est la Paix
La Liberté, c’est l’esclavage
L’Ignorance, c’est la Force


Et bien sûr : Big Brother vous regarde…


Suivez la campagne électorale : ça promet.