lundi 13 avril 2009

Histoire de pirates




Les disciples somaliens de Jack Sparrow.

On a beaucoup parlé des pirates cette semaine. Surtout après qu’un navire américain eut été pris d’assaut par une bande de pirates au large de la Somalie. Cela fait déjà plusieurs années qu’on peut lire de petits articles dans les journaux sur les pirates somaliens qui attaquent régulièrement des navires qui doivent passer près des côtes de leur pays pour entrer dans la mer Rouge en direction du canal de Suez.

Il y a quelques semaines une flotte chinoise se dirigeait vers la région afin d’escorter un convoi de cargos. Détail : c’est la première flotte militaire chinoise dans la région depuis celle de l’amiral Zheng He en 1431.

Mais tout ça n’attirait pas spécialement l’attention. Par contre un navire américain, ça c’est important ! Surtout après qu’une nouvelle parue dans Cyberpresse annonce que l’équipage avait « repris le contrôle du navire ». Ça a fait fantasmer certains blogueurs sur les braves américains qui avaient pris les choses en main parce qu’ils avaient le droit d’être armés, à la Rambo ou à la Bruce Willis. En fait les marins n’ont pas plus le droit d’être armés sur les navires américains que sur les autres. On appris rapidement que ce qui s’était passé, c’est que le capitaine Richard Phillips, avait dit à à son équipage d'une vingtaine d'hommes de s'enfermer dans une pièce. L'équipage avait eu ensuite le dessus sur certains des pirates mais le capitaine s'est rendu aux assaillants afin de protéger ses hommes. Les assaillants se sont ensuite échappé en emmenant le capitaine en otage à bord d'un canot de sauvetage. Courageux, le gars, mais plus proche de Martin Luther King que de Rambo… Une intervention militaire a finalement permis de libérer le capitaine.
Le « Maersk Alabama » est un cargo de 17.000 tonnes appartenant à Maersk Ltd, une filiale d’une compagnie danoise, qui est aussi un très gros sous-contractant du département américain de la défense.
Des éditorialistes de Power Corporation ont alors écrit sur ce qu’il faudrait faire face à ces pirates et philosophés sentencieusement sur le côté « post-moderne » et « retour au Moyen Âge » de la réapparition de la piraterie maritime.
On a aussi, bien sûr, évoqué l’Islamisme. C’est vrai que des émules d’Oussama Ben Laden seraient en train de recruter chez les Somaliens. Pas vraiment de surprise là.

Personne ne s’est demandé, et on ne nous a pas expliqué, cependant, comment et pourquoi la piraterie maritime s’était développée, spécifiquement, au large de la Somalie.
Historiquement, les pirates des mers ne peuvent exister que dans les régions ou il n’y a pas d’État capable de faire régner l’ordre sur les côtes. Ou bien lorsque l’État encourage la piraterie parce qu’il en tire un profit.
La Somalie appartient définitivement au premier cas, étant donné qu’il n’y a pas eu de gouvernement digne de ce nom dans le pays depuis le début des années 1990, quand une guerre civile a commencé Le pays, depuis s’est fragmenté en une série de clans contrôlés par des chefs de bande qu’on appelle parfois « seigneurs de la guerre ». Une tentative d’instaurer un gouvernement en 2006 sous la forme d’une « Union des Tribunaux islamiques ». Cette institution s’effondra après que l’Éthiopie eut envahi la Somalie, prétextant que ces Tribunaux étaient une menace à sa sécurité bien qu’ils n’aient eu aucune force armée.
Un « Gouvernement fédéral provisoire » est reconnu par plusieurs pays mais ne contrôle rien en Somalie même.

Ce qu’on sait des pirates c’est qu’ils ont en moyenne de 25 à 30 ans et viennent du Nord-Est du pays. Selon l’Association maritime d’Afrique orientale il y aurait au moins cinq « gangs » de pirates regroupant au total environ 1 000 hommes armés. Selon la BBC, on peut les regrouper en 3 catégories :
-Des pêcheurs de la région, considérés comme les cerveaux à cause de leur compétence en navigation et de leur connaissance de la mer.
-Des ex-miliciens qui combattaient auparavant pour les chefs de clans locaux et qui amènent leurs armes.
-Des techniciens sachant utiliser l’équipement technologique tel que les GPS.

La présence des pirates dans les villages de la côte entraîne la présence d’homems armés dans les rues, ce qui est un problème de sécurité ainsi qu’une hausse de la consammation d’alcool et de drogues diverses. Par contre, ils sont la seule source de revenus et d’emplois pour une bonne partie de la population. Et, paradoxalement, ils sont souvent la seule force de maintien de l’ordre en l’absence d’État.

Mais pourquoi n’y a-t-il pas d’État en Somalie ?

Il y en avait un il y a encore 20 ans. Dans les année 60-70, le pays était presqu’autosuffisant en matière alimentaire, son économie reposant essentiellement sur l’élevage du bétail.

Engagé dans une longue guerre contre l’Éthiopie pour la possession de l’Érythrée, territoire de l’ancienne Somalie italienne donné en cadeau à l’Éthiopie par les Alliés à la fin de la Deuxième guerre mondiale, le pays a, durant les années 70, contracté des prêts auprès de grandes institutions financières. Il a dû, en conséquence, se soumettre à un plan « d’ajustement structurel « imposé par le Fonds monétaire international (FMI).

Ce plan comprenait plusieurs volets. Tout d’abord on a dévalué la monnaie locale, ce qui a entraîné de fortes hausses de prix du carburant, des engrais et des médicaments pour le bétail. De nombreuses entreprises d’État ont été privatisées, dont un programme de vaccination des animaux qui devint ainsi trop cher pour les paysans. Le résultat : une série d’épidémies a décimé le cheptel, entraînant la famine dans ce pays ou, jusqu’en 1983, le bétail représentait 80% des exportations. Parallèlement les dépenses de santé ont chuté de 78% entre 1975 et 1989. Le budget de l’éducation, qui était de 82$ en 1982, était tombé à 4$ en 1989. Les inscriptions scolaires ont chuté de 41%.

Si ces faits ont été peu publicisés en Occident à l’époque (pourquoi ?) , la suite, elle, a été abondamment médiatisée : guerre civile, famines meurtrières et effondrement total du gouvernement en 1991. Le pays est depuis ^partagé entre des chefs de guerre commandants des milices privées.

Les concerts « Live Aid » et autre « We are the World » ont permis aux artistes et aux donateurs de ce donner bonne conscience mais n’ont pas pu remplacer l’économie et la société détruite.

Une expédition de l’ONU n’a pas changé grand-chose n’ont plus, sauf à faire quelques milliers de morts de plus parmi les Somaliens. Elle a permis de découvrir qu’un régiment aéroporté était infiltré par des néo-nazis et a embarrassé les Forces armées quand un civil somalien a été torturé à mort par des militaires canadiens. Après qu’une milice locale ait abattu un hélicoptère américain, les troupes étrangères ont fait leurs paquets et abandonné la Somalie à son sort.

Les eaux territoriales somaliennes, désormais sans protection, furent alors envahies par des chalutiers de différents pays qui viennent pêcher annuellement pour environ 300 millions de dollars de thon, homard et crevettes, privant par conséquent les pe^cheurs somaliens de leur revenu. C’est alors que les pêcheurs commencèrent à utiliser des bateaux rapides pour intercepter les navires de passage et prélever des « taxes » et les dissuader de revenir. La piraterie somalienne était née. On évalue à environ 100 millions de dollars le montant d’argent rapporté en Somalie à chaque année par les pirates. Sugule Ali, un des leaders d’un groupe de pirates qui se surnomme « La garde-côte volontaire de Somalie » déclare que les « vrais bandits sont ceux qui vienne pêcher ici illégalement et verser des déchets dans nos eaux.».

Car la côte somalienne sert aussi de dépotoir pour d’autres pays qui y vont déverser leurs déchets toxiques, parfois nucléaires. Un député vert européen a présenté au parlement de Strasbourg des copies de contrats signés par deux firmes européens avec un chef de guerre somalien lui offrant 80 millions de dollars en échange de la permission pour les firmes de déverser 10 millions de tonnes de déchets toxiques dans les eaux près de son territoire. Après le tsunami de 2005 dans l’Océan indien, des déchets nucléaires auraient fait surface et un rapport de l’ONU fait état de symptômes « cohérent avec l’empoisonnement aux radiations » dans la population locale. Environ 300 personnes en seraient mortes.

Alors oui, il y a des pirates en Somalie. Mais ils ne sont pas tombés du ciel.

Pour en savoir plus :

http://www.alternet.org/story/135716/

http://en.wikipedia.org/wiki/Somali_pirate

http://www.sfbayview.com/2009/you-are-being-lied-to-about-pirates/

http://www.g7.utoronto.ca/governmental/hc16/hc161015.htm

Photo : pirates somaliens source Wikiméedia commons



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