dimanche 9 novembre 2008

Histoire américaine

Obama ou le chemin parcouru


Souffrez-vous d’Obamanie ? Ça semble avoir été une épidémie cette semaine, à la suite de l’élection du premier « Afro-américain » à la Maison-Blanche.

À lire les gros titres de nos gros médias, ce n’est rien de moins qu’une Révolution. « Vote historique » , « Moment le plus important depuis la chute du mur de Berlin », chacun y est allé de son hyperbole. «
« La fin des années monstrueuses » écrivait Paul Krugman, récipiendaire du prix de la Banque de Suède en économie à la mémoire d’Alfred Nobel (improprement appelé prix Nobel d’économie), signalant par là qu’on allait laisser derrière les années Bush avec leurs activisme militaire, leur politique de laissez-faire financier et leurs attaques contre les libertés civiles. D’autres se réjouissaient de voir renaître une Amérique « libérale et généreuse ». On est aux limites du messianisme.
Jusqu’à nos pathétiques politiciens provinciaux qui tentent de se grimer en Mariobama et Obamarois.

Un chef d’État accédant au pouvoir sur une telle vague d’espoir ne peut que décevoir.

Les différences d’Obama avec la clique Bush-McCain en ce qui concerne les grands dossiers sont de l’ordre de la nuance. Il veut privilégier la guerre en Afghanistan plutôt qu’en Irak (même si les Britanniques viennent de conclure que la guerre en Afghanistan est perdue), veut fermer Guantanamo (mais pas l’ensemble de l’archipel de prisons secrètes éparpillés par les USA à travers le monde. Bref, il fermera la plus visible) veut abolir les dispositions « mauvaises » du Patriot Act (j’ai hâte de voir lesquelles sont les bonnes). Il veut aussi de plus dures sanctions contre l’Iran, resserrer l’embargo contre Cuba et reconnaître Jérusalem comme capitale « indivisible » d’Israël. On n’est pas ici dans le grand virage mais tout au plus dans l’ajustement.
Bientôt les lendemains qui déchantent.

Moi je suis plutôt de l’avis de Michael Moore : il faut souhaiter que Barack Obama brise toutes ses promesses car ses promesses, c’est « business as usual ».


Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de raison de se réjouir de l’élection de Barack Obama.

La bonne nouvelle c’est qu’il y a eu suffisamment d’Américains prêts à voter pour un Noir comme président. Et ça, ça représente un bond de géant pour les Etats-Unis, même si les politiques de ce président ne sont, elles, qu’un petit pas…

Pour en juger, il suffit de se souvenir de certaines données historiques.

Avez-vous déjà entendu parler de lynchage ? Dans le Sud des États-Unis, il était extrêmement courant, à une certaine époque, qu’une foule de Blancs, bons chrétiens et bons citoyens payeurs de taxes, sous un prétexte quelconque, décident de faire un mauvais sort à un ou plusieurs Noirs. (Voir première photo)

Entre 1890 et 1930, au moins 3 000 Noirs furent lynchés. Mais ça, ça n’est qu’un chiffre. Comment ça se passait ? Voici un exemple :

Norman Finkelstein, professeur de sciences politiques, résume la description faite par le New York Tribune d’un lynchage en Géorgie, au tournant du XXe siècle siècle : “Sam Hose [...] a été brûlé, attaché à une poteau sur une route publique, à un mile et demi d’ici. Avant que la torche n’allume le bûcher, les Nègre a eu les oreilles, les doigts et d’autres parties du corps coupés, avec une violence surprenante. Avant que le cadavre ait refroidi, on le découpa, les os furent brisés en petits morceaux. L’arbre lui-même où le malheureux avait rencontré son destin fut mis en pièces, pour en faire de souvenirs. Le coeur du nègre fut coupé en plusieurs morceaux, son foie aussi. Ceux qui n’avaient pu se procurer directement ces horribles reliques payèrent des sommes extravagantes pour en obtenir des plus chanceux. Des petits fragments d’os atteignirent la somme de 25 cents et un petit morceau de foie, frit, 10 cents.”

Selon un autre chercheur : « Les journalistes notèrent une active participation des notables de la région[...]Un des participants qui devaient retourner à la capitale exprima son désir de remettre une tranche du coeur de Sam Hose au gouverneur de Géorgie.”

Et, aux États-Unis, la loi n’était pas la même pour tout le monde, par exemple, autrefois, le viol était puni de mort en Virginie. Cependant, “entre 1908 et 1972, seuls des Noirs ont été exécutés en vertu de cette loi, alors que 45% des personnes condamnées pour viol étaient des Blancs.[...]. En 1950, des avocats ont interjeté appel de la condamnation pour viol de sept Noirs au motif que seuls des Noirs étaient exécutés pour ce crime. Mais la cour suprême de Virginie a rejeté appel [...] et les sept condamnés ont été exécutés.”
“Ces résultats sont confirmés par une étude effectuée en 1981 en Floride. En 1976 et 1977, sur 326 meurtres perpétrés entre personnes de races différentes, 5,4% des cas où la victime était noire ont entraîné une condamnation à mort ; en revanche, ce pourcentage atteignait 14% lorsque la victime était blanche. Cette étude démontre également que 53,6% des cas où la victime était noire ont entraîné une inculpation de meurtre qualifié ; cependant si la victime était blanche, ce pourcentage s’élevait à 85%”
Source : Plumelle-Uribe, Rosa Amelia La férocité blanche Paris, Albin Michel, 2001, 334 p.

Au cours du vingtième siècle, plusieurs projets de loi ont été présentés au Congrès fédéral pour criminaliser cette pratique en permettant de poursuivre les personnes qui auraient assisté à ces meurtres sans les dénoncer aux autorités. Tous ces projets, sans exception, ont été bloqués au Sénat. Le dernier lynchage officiellement reconnu a eu lieu en 1964. Le Sénat s’est excusé en 2005…

Pour bien mesurer le changement que représente l’élection d’Obama, citons une anecdote survenue en 1951, alors qu’un groupe de diplomates américains présents pour une conférence au Luxembourg furent invités à un concert donné par les Jubilee Singers of Fisk University, une chorale noire en tournée européenne et qui se produisait fréquemment devant les chefs d’État et têtes couronnées. . La réponse ? “We have been trained as Foreign Service Officers and we are not interested in negroes of any kind.’
Source : The Cold War and the Color Line by Thomas Borstelman
Du chemin a été fait mais tout n’est pas encore fait, il s’en faut de beaucoup.

En 1998, sur les 1838 procureurs de district aux États-Unis, 22 étaient noirs, 22 étaient hispano-américains ou issus d’autres minorités ethniques et tous les autres (soit 1 794) étaient des Blancs.

“Thomas J. Keil et Gennaro F. Vito, deux chercheurs de l’université de Louisville, dans un travail portant sur “La race et les procès pour meurtre au Kentucky”, publié en 1995 dans la Revue américaine de justice pénale, ont fait le constat suivant : “Alors qu’un nombre à peu près équivalent de Blancs et Noirs sont victimes de meurtres aux États-Unis, 82% des prisonniers exécutés depuis 1977 avaient été reconnus coupables du meurtre d’une victime blanche. Au Kentucky, toutes les condamnations à mort prononcées jusqu’en mars 1995 concernaient le meurtre d’une victime blanche, alors que plus de 100 Noirs avaient été victimes d’homicides dans cet État.”
Il y a aussi cet article du Chicago Tribune du 13 janvier 1999 sous le titre “L’envers d’un procès équitable” : “Michael Goggin, ancien procureur du comté de Cook, dans l’Illinois, a récemment admis que le bureau du procureur de district avait organisé un concours pour voir quel procureur aurait le premier atteint, par le nombre d’accusés qu’il faisait condamner, un poids de total de 4000 livres [environ 2000 kilos]. Les hommes et les femmes en cours de jugement étaient amenés dans une pièce et pesés. La plupart des accusés étant noirs, ce concours avait été surnommé “Niggers by the Pound”, “Des Nègres au kilos”
Source : Plumelle-Uribe, Rosa Amelia La férocité blanche Paris, Albin Michel, 2001, 334 p.


La justice est censée être aveugle. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle perçoit encore les couleurs.

Obama va-t-il s’attaquer à ces vestiges de racisme institutionnalisé ? Rien ne l’indique mais on peut toujours l’espérer.

Il serait absurde de ne pas voir le chemin parcouru et les changements qui ont été accomplis grâce au travail de milliers de militants, d’hommes politiques (hé oui, quand même quelques-uns !), d’artistes, de journalistes. Les lois de ségrégation ont été abolie et on a vu des Noirs occuper des postes importants, y compris dans des administrations pas forcément progressistes (qu’on pense à Condi et Colin Powell).

Il serait également absurde de ne pas voir ce qu’il reste à faire.

Peut-être la meilleure conclusion se trouve-t-elle sur un monument, à Tulsa, Oklahoma, qui commémore une émeute meurtrière qui détruisit le quartier noir de la ville en 1921.(Voir les 2 autres photos)

On peut y lire :

Les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être
Les choses ne sont pas ce qu’elles pourraient être
Mais Dieu merci, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient.


Ici plogue ! Si vous voulez en savoir plus sur cette émeute, lisez mon livre Histoires à Dormir Debout ! http://www.manuscritdepot.com/a.andre-pelchat.1.htm



Source des photos
Lynchage : Life Magazine
http://www.digitaljournalist.org/issue0309/lm18.html
Émeute de Tulsa :
http://www.momisteaching.com/
http://www.legendsofamerica.com/