dimanche 27 septembre 2009

Histoire d’accommodements ( raisonnables ?)


Avez-vous dit tradition ?

À Drummondville, un groupe de parents contestant le nouveau cours « Éthique et culture religieuse » vient de se faire débouter devant un tribunal. Le juge a statué que ce cours, qui expose sommairement diverses croyances religieuses, ne contrevenait pas à leurs droits fondamentaux de parents.

Au-delà des qualités et des défauts du cours en question, il est clair que ce que ces parents défendent, c’est le droit de maintenir leurs enfants dans l’ignorance, en particulier vis-à-vis des autres cultures et des autres croyances.

On a pu entendre une mère presqu’en pleurs le dire en toute lettre « Je ne veux pas que mes enfants apprennent qu’il y a d’autres dieux! ». Selon leur interprétation, en tant que parents, ils ont le droit d’empêcher que leurs enfants soient exposés à des idées étrangères à leurs propres convictions, croyances et superstitions.

Ce fut aussi, pendant longtemps, un argument-massue des opposants à l’école obligatoire : ne pas brimer les droits des parents.

Ah ! Certains sont déjà nostalgiques du bon vieux temps où, dans les écoles publiques du Québec, c’était la religion catholique pour tout le monde. Ça a toujours été comme ça avant la Révolution Tranquille et les Bolcheviques de Jean Lesage, et dans c’était tellement plus simple ! Non ?

Ben non, justement.

La petite anecdote suivant date du milieu du XIXe siècle, à L’Avenir près de Drummondville.

On la trouve dans le livre « L’Avenir » de Joseph-Charles St-Amant, historien local.

« En 1853, la commission scolaire du township de Durham fut divisée en deux(…)Les premiers commissaires élus furent J.-B.É. Dorion, Go. Atkinson, H.S. Griffing, Robert Griffith et Moïse Charpentier. (…)Comme on le voit, on était alors sous le régime des écoles mixtes. »

Ici « mixte » veut dire qu’on y trouvait des Catholiques et des Protestants. La région avait été originellement colonisée par des Anglais, des Irlandais et des Écossais mais, à partir des années 1850, les Canadiens français y arrivèrent en grand nombre, notamment sous l’impulsion de Jean-Baptiste-Éric Dorion (photo), journaliste et homme politique, militant libéral pas particulièrement « rongeux de balustre ».

Bientôt, cependant, surgit un conflit : certains parents protestants se plaignirent que l’instituteur du village, M. Béchard, avait fait dire des prières catholiques en classe et demandèrent sa destitution. L’affaire fit grand bruit.

« À la séance du 17 mars 1854 le corps entier des commissaires était présent excepté Robert Griffith.
On mit de côté les accusations contre M. Béchard mais on résolut :
« Que l’instituteur fût notifié de ne faire dire aucune prière quelconque aux enfants, en aucun temps, avant, pendant ou après les heures de classes à l’école, vu qu’une telle pratique n’était pas convenable dans une population mixte comme celle de l’Avenir. »


L’affaire rebondit une autre fois au début des classes à la fin de l’été. Le résultat :

Le 31 août 1859, M. T. H. Lacy proposait, secondé par A.-D. Richard :
« Qu’aucune instruction religieuse ne soit donnée et aucune prière dite dans aucune école de cette municipalité pendant les heures de classe, c’est-à-dire du commencement à la fin de la classe, et que les instituteurs soient requis de se conformer strictement à cette résolution. »


Et oui. Pas de prière en classe. Pas de cours de religion non plus. C’était en 1858.

Vous avez dit « tradition catholique » ?

dimanche 23 août 2009

Histoire de météo


Les machines à pluie ou
« Who’ll stop the Rain? »

Beaucoup se sont plaint que nous avons eu un été pluvieux.

À qui la faute ?

Certains incrimineront les changements climatiques attribuables aux gaz à effet de serre mais, les conspirationnistes ne sont pas dupes de ces explications simplistes, fruits de la propagande des Illuminati, à moins que ce ne soit du groupe Bildeberg ou des Francs-Maçons.

Il y a le projet HAARP (pour High Frequency Active Auroral Research Program). Le projet HAARP, dirigé depuis un laboratoire situé à Gakona, en Alaska, vise à étudier les propriétés de l’ionosphère, couche atmosphérique située en très haute altitude. Il est basé en Alaska parce que c’est dans les régions arctiques qu’on peut observer le plus spectaculaire des phénomènes liés à l’ionosphère : les aurores boréales.

Mais il y a des gens convaincus que ce projet fait partie d’un programme ultrasecret du gouvernement (Lequel ? Tous, bien sûr ! ) visant à modifier le climat ( Pour empêcher les changements climatiques, selon certains. Pour les accélérer, selon d’autres. Il y a autant de sectes différentes parmi les amateurs de complots que parmi les Pentecôtistes). On peut voir à l’œil nu les effets de ces plans maléfiques sous la forme des « chemtrails ».

Que sont les chemtrails ? Vous avez vu ces traces que laissent les avions à réaction dans le ciel ? Et bien ce ne sont pas de simples traces laissées par la condensation de l’eau à la sortie du réacteur, comme on essaie de vous le faire croire. Il s’agit d’épandage de produits chimiques visant à modifier le climat. Tout ça est lié au projet HAARP.

Comment le projet HAARP, qui porte sur l’ionosphère, bien plus haut que n’importe quel avion ou n’importe quel phénomène climatique, peut-il être lié à des projets de changement du climat par saupoudrage de produits chimiques par avion ?

Là, la réponse varie selon l’auteur consulté. Je me contenterai de vous suggérez de taper « chemtrail » ou « projet HAARP » sur Google. Vous allez bien vous amuser.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ya jamais eu de tentatives de modifier le climat. L’une d’entre elle a même causé une mini-crise politique dans les années 1960, ici au Québec.

Il faut savoir que ce n’est pas d’hier qu’on étudie la possibilité de provoquer la pluie.
C’est en 1946 que deux chercheurs américains ont découvert qu'il est possible de transformer les gouttelettes d'eau surfondues des nuages (à une température inférieure à 0°C) en cristaux de glace par l'injection de glace sèche (dioxyde de carbone à l'état solide, à une température de -72°C) ou de cristaux d'iodure d'argent dans le nuage, ce qui provoque la condensation et fait tomber la pluie.
Au Canada on a fait un premier essai en 1948 et, en 1959, le gouvernement fédéral a entrepris une série d’expérience de production de pluie artificielle dans différentes régions. La chose est tellement peu secrète qu’on trouve un article explicatif sur le sujet sur le site de la très respectable Encyclopédie canadienne :
http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0006663

Dans plusieurs régions du Québec, les compagnies forestières et les entreprises de production d’aluminium (Alcan) eurent recours aux services de sous-traitants qui disposaient des machines capables de projeter l’iodure d’argent dans l’air afin de faire crever les nuages et déclencher la pluie. Les compagnies forestières visaient la prévention des feux de forêt, les producteurs d’aluminium, à maintenir le niveau d’eau dans les réservoir de leurs barrages.
On engageait des gens du coin pour faire fonctionner les machines quand ils recevaient les ordres du sous-traitant.
Signalons que l’efficacité de la méthode est limitée : si un nuage passe au-dessus de l’endroit où se trouve la machine, on peut provoquer l’averse avant que le nuage soit rendu trop loin. Point final. On ne peut pas changer une journée ensoleillée en journée pluvieuse.
Mais cette subtilité semble avoir échappé au public de la région du Saguenay-Lac Saint-Jean quand l’existence des machines commença à être connue, dans les années 60.
Tellement que, après un été particulièrement pluvieux, en 1965, s’organisa « l’Opération Parapluie », durant laquelle des mères de famille de la région recueillirent plus de 60 000 noms sur une pétition présentée au gouvernement du Québec, protestant contre les « faiseurs de pluie ». On demandait même au gouvernement de rembourser le coût des vitamines dont les enfants auraient besoin parce qu’ils auraient manqué de soleil durant l’été ! Les agriculteurs ne furent en reste et l’UCC (Union des Cultivateurs catholiques, ancêtre de l’UPA) demanda au gouvernement de contrôler de ces machines et organisa une marche sur Ottawa, demandant un remboursement pour les récoltes perdues, les dommages étant évalués à 5 millions de dollars.
Des équipements d’Hydro-Québec furent sabotés par des citoyens qui les avait pris pour des machines à pluie. Les opérateurs reçurent des menaces de mort d’un groupe clandestin se désignant sous le nom de « Fils du Soleil ».
Cette crise inattendue amena le ministre des Richesses naturelles, René Lévesque, à ordonner l’arrêt des expériences de production de pluie au Québec. En 1970, une loi fut votée imposant un permis à quiconque voudrait faire de la pluie artificielle.
Aucune demande de permis n’a été déposée…
En 2007, le cinéaste Claude Bérubé produisit pour l’Office national du Film, un documentaire sur cette histoire loufoque. On peut le voir intégralement sur le site de l’ONF :
http://www.onf.ca/film/incroyable_histoire_des_machines1/


Le film permet d’ailleurs de voir à quelle vitesse un évènement peut se transformer en légende.
On y voit une entrevue avec Claudette St-Gelais, dont la mère était payée pour « chauffer » une des machines à pluie, au Saguenay dans les années 60. Selon M. D’Avignon, gérant de l’entreprise « Weather Engineering », qui possédait les machines en question, on en trouvait une trentaine répartie en Gaspésie, au Saguenay, dans Charlevoix et en Abitibi.
Mme St-Gelais se « souvient » que sa mère lui a expliqué qu’elle faisait chauffer la machine avec des briquettes et que, selon la sorte de briquette utilisée, on faisait pleuvoir à volonté, soit au Saguenay, soit en Gaspésie, soit en Abitibi, etc.
On est là dans le domaine de la magie, et il n’a pas fallu plusieurs générations pour que le récit se transforme en conte folklorique. Une seule a suffi.

Et déjà, certains adeptes des théories du complot ont intégré l’histoire des machines à pluie du Saguenay au grand mythe de la conspiration pour changer le climat !


“Il ne faut pas tout croire d’un homme car un homme peut tout dire. Il ne faut croire d’un homme que ce qui est humain.” Cyrano de Bergerac

lundi 20 juillet 2009

Histoire lunaire


Il y a 40 ans : l’heure de gloire d’Herr von Braun



Avez-vous entendu dire que, il y a 40 ans, le 20 juillet 1969, un homme a marché sur la lune ? Le contraire serait étonnant.
En fait, ceux qui sont assez vieux pour se souvenir de l’évènement, en général, se souviennent également exactement d’où ils étaient et de ce qu’ils faisaient à ce moment.
Pour ma part, j’étais, avec toute ma famille, figé devant mon écran de télé, à la maison, à Plessisville. Bien qu’en fait, on n’y voyait pas grand-chose tellement la qualité de l’image noir et blanc était mauvaise. Au fond, quand le prof Lebrun a dit que Neil Armstrong avait mis le pied sur la lune, nous l’avons cru sur parole.
Il était assez difficile d’ignorer que l’évènement allait se produire vu que, depuis 1968, et à notre grande frustration, la programmation habituelle des 2 chaînes de télé francophone était à tout bout de champ interrompue par des « reportages spéciaux » sur les différentes missions Appolo. Ce fut un peu la première expérience de reportage télé en continu. Sans doute par manque d’habitude, nous nous apercevions qu’on y répétait régulièrement la même chose.
Néanmoins, nous ne voulions pas manquer ça. Surtout moi, pour qui cela avait un petit goût de triomphe. Depuis que les aventures de Tintin en dessin animé nous avaient montré la fusée du prof. Tournesol, j’avais régulièrement eu des discussions avec mon père et les reste de ma famille. J’étais le seul qui soutenait que c’était possible. Je ne me suis pas privé de leur rappeler. Mon père a trouvé facilement une réplique : il a tout simplement exprimé des doutes à l’effet que l’évènement ait réellement eu lieu. « Ça a pu être tourné en studio à Hollywood » disait-il. Il ne savait pas qu’il était en avance de plusieurs décennies dans l’élaboration des théories du complot.
À la télé, les experts ne se pouvaient plus à force de superlatifs. Et on nous parlait des projets à venir : le Skylab, la navette et … le premier homme sur Mars. On prévoyait cette mission pour… 1986 ! Décidément, le futur n’est plus ce qu’il était…
Toujours est-il qu’après dix ans de ce qu’on appelait la « course à l’espace », les Américains pouvaient se péter les bretelles. Ils avaient été les premiers sur la lune, damant le pion à ces satanés bolcheviques qui avaient lancé le premier satellite artificiel et le premier homme dans l’espace. C’tait le triomphe du capitalisme (bien que, à vrai dire, la NASA fut une entreprise d’État qui n’a jamais fait un sou de profit) et de la démocratie… en même que celui du Sturmbannfuhrer S.S. Wernher von Braun.


Dans les années 60 et 70, Wernher von Braun était mon héros. C’était le génie qui avait conquis la lune. Le concepteur de la fusée qui avait rendu l’exploit possible.


Son histoire est des plus édifiantes.
Né en 1912 dans une famille noble de Posen, en Prusse orientale (pays qui n’existe plus depuis 1945), cet individu a consacré sa vie à un seul projet : le voyage sur la lune. Sa carrière est fascinante : après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur en 1930, il se joignit à un club appelé la Société pour le vol spatial (Verein fur Raumschiffahrt ou VfR), fondé par un groupe d’enthousiastes, majoritairement des écrivains, décidés à faire passer le vol spatial de la fiction à la réalité. Von Braun et un groupe de jeunes collègues entreprirent donc de fabriquer des fusées à carburant liquide et de les essayer sur un terrain vague, aux environs de Berlin. En 1934, notre homme travaillait pour l’armée. En 1937, il se joignait au parti nazi et, en 1942, la base de Peenemunde, sur la Baltique, grouillait de l’activité de 4 000 travailleurs sous la direction de Wernher von Braun, maintenant devenu membre de la S.S. avec le grade de Sturmbannfuhrer (major). C’est là qu’il mit au point les premiers missiles balistiques, les fameuses V2 qui servirent à bombarder Londres et d’autres villes. Elles étaient produites dans une immense usine souterraine utilisant la main-d’œuvre captive des camps de concentration. Von Braun y dirigeait la production. L’endroit, appelé Mittelwerk, dépendait du camp de concentration de Dora. Environ un tiers des captifs forcés de travailler dans cette gigantesque termitière y moururent en raison de l’insuffisance de nourriture et de soins médicaux ainsi que de la brutalité des gardiens. Von Braun continuait à plancher sur des projets de fusées de plus en plus gigantesques qui enverraient un jour un astronaute, (nazi, on l’imagine) sur la lune.
Quand la défaite de l’Allemagne fut complète, von Braun organisa le départ d’environ
3 000 des 4 000 travailleurs, techniciens et ingénieurs de Peenemunde, leur permettant de traverser le pays en ruine pour fuir l’Armée rouge et se rendre aux Américains. Von Braun lui-même fit irruption, sur un vélo, dans un camp américain avec les plans de ses fusées roulés dans un tube de carton attaché au siège. L’armée des États-Unis envahit l’usine de Mittelwerk et entreprit de la démonter entièrement. Pas un seul papier ne fut laissé sur le sol. Tout fut embarqué et expédié aux États-Unis : plans, machines, pièces de rechange et, bien sûr, les fusées à leur différents stades d’achèvement.
Compte tenu de son rôle dans le camp de concentration de Dora, von Braun aurait pu (certains diront : aurait dû) se retrouver dans les rangs des accusés au procès de Nuremberg.
Mais on ne juge pas quelqu’un dont on a besoin pour s’assurer une supériorité militaire. Le plus haut gradé de Dora à être jugé avait rang de capitaine...
L’ex-Sturmbannfuhrer et 118 de ses hommes furent expédiés, dans le plus grand secret et illégalement, à White Sands, base de l’armée de l’air située dans le désert du Nouveau-Mexique. On les mit aussitôt à la construction de V 2, qui furent testées sur place, ainsi qu’à la conception de nouveaux modèles de fusées. En 1949, soit quatre ans après leur arrivée aux États-Unis et leur engagement dans des projets top-secret de la défense, l’équipe des savants allemands eut droit à un petit voyage au Mexique, ce qui permit au gouvernement de leur remettre un visa pour entrer aux États-Unis et de régulariser leur situation...
La guerre froide était commencée et les anciens nazis de Dora et de Peenemunde étaient maintenant considérés comme indispensables à la défense de la démocratie. Il fut désormais jugé du plus mauvais goût de faire allusion au passé politique de von Braun et ses collègues.
Tout en travaillant à la mise au point de missiles balistiques, l’ingénieur Wernher von Braun se fit propagandiste. Il entreprit une longue campagne dans le but de populariser son vieux rêve de conquête de l’Espace. Il écrivit en 1951 une série d’articles à cet effet dans le magazine Collier’s. Il s’agissait de convaincre le grand public que le vol spatial n’était plus une rêverie pour amateur de science-fiction mais que la technologie existait pour le faire passer dans le domaine de la réalité. À cette fin, von Braun trouva un allié de taille en la personne de… Walt Disney. Von Braun servit de conseiller technique pour la production d’un film documentaire intitulé Man in Space, qui fut diffusé à la télévision en 1955 et attira 100 milions de téléspectateurs. La même année vit l’ouverture de Disneyland, en Californie. La partie «futuriste» du parc avait été conçue avec l’aide de Wernher von Braun.
En 1959, après le choc du lancement du premier soviétique, le président Eisenhower ordonna la création de la NASA. Des dizaines d’installations appartenant aux forces armées furent transférées au nouvel organisme. Le dossier de von Braun concernant son passé nazi fut également confié à un organisme dépendant de la NASA, le Marshall Space Flight Center, dont le directeur fut... Wernher von Braun. Il gérait aussi à ce titre 40 % du budget total de la NASA. Il put enfin se remettre à la création de fusées destinées au vol spatial.
Après les programmes les vols Mercury, et Gemini vint le programme Appolo, qui utilisa le dernier produit du génie de von Braun : la gigantesque fusée Saturn V. C’est avec cet engin que, le 21 juillet 1969, le Germano-américain vit son rêve se réaliser lorsque Neil Armstrong posa le pied sur le sol lunaire. Durant toute cette période, les journalistes qui rencontrèrent von Braun ou couvrirent le programme spatial américain évitèrent soigneusement les questions embarrassantes et n’évoquaient son passé nazi qu’avec de curieux trous de mémoire. Nul n’aurait eu le mauvais goût de rappeler le grade de Sturmbannfuhrer que von Braun avait porté dans les S.S... Sauf la journaliste italienne Oriana Falacci. Celle-ci posa quelques questions embarrassantes et expulsée du bureau de von Braun Tout ce qu’on lisait sur lui à l’époque était conçu pour nous le présenter comme un homologue du professeur Tournesol : un brave savant inoffensif et un peu rêveur.
Mais les jours des anciens nazis à la NASA achevaient : en 1976, sur les 118 membres de l’équipe que von Braun avait amené aux USA, seuls 8 étaient encore en fonction.
Von Braun lui-même donna sa démission en 1972. Il fut ensuite président d’un groupe privé intitulé le National Space Institute, composé d’individus riches et influents faisant la promotion du programme spatial... et de la guerre froide. Wernher von Braun mourut, d’une tumeur maligne à l’intestin, en 1977.
Un héros de la conquête spatiale.
Comme disait l’historien Paul Veyne : « On ignore toujours ce qu’on croit qu’on n’a pas le droit de savoir. »

dimanche 14 juin 2009

Histoires d'histoires (suite)
















Le temps des romans à dix sous (2e partie)






Dans les années 1940-50, il y a peu d’auteurs canadiens-français et ceux-ci ne trouvent pas beaucoup de lecteurs.
Pour la majorité de la population, la fiction se trouve au cinéma (qui, comme aujourd’hui, est surtout américain) et à la radio, avec les « radioromans » qui deviendront des téléromans après l’apparition de la télévision canadienne en 1952.

Mais il y a les « romans à dix sous » (à ne pas confondre avec les « dime novels » américains des années 1880-1900).

L’histoire des romans à dix sous ou « littérature québécoise en fascicule » commence durant la Seconde Guerre Mondiale.


Après la fin de la Première guerre mondiale, ç’a été l’âge d’or des « pulp magazine » aux USA. Ce sont des magazines bon marché publiant des nouvelles et des récits à épisodes : policiers, science-fiction, etc. Plusieurs futurs auteurs célèbres y font leur début. Très tôt, on les trouve sur le marché canadien.
Mais le arrive deuxième conflit mondial : la loi de 1940 (War Exchange Conservation Act) interdit l’importation de périodiques étrangers contenant des histoires de « sexe, crime, détective, western et soi-disant cas vécus ».
On vient d’ouvrir une niche dans le marché, pour les éditeurs canadiens. Ceux-ci se mettent à la recherche d’auteurs prêts à travailler pour pas cher afin de remplacer les périodiques états-uniens subitement devenus introuvables de ce côté-ci de la frontière. La loi bloque aux douanes les histoires d’un certain type. Elle n’interdit pas de publier si elles sont écrites au Canada. Alors on publiera des histoires de « sexe, crime, détective, western et soi-disant cas vécus », typiquement canadiennes…
Bientôt apparaissent les « pulps » canadiens : « True Crime », « Murder and Mysteries » « « Feature Detective Case » « Daring Crime Case » etc. Cette époque sera aussi l’Âge d’Or de la B.D. canadienne favorisée, de plus, par une loi rationnant l’encre de couleur, ce qui contribue à éliminer les « comics » américains du marché local.

Et au Québec, apparaissent, les « romans à dix sous ».

De 1944 à 1967, les kiosques à journaux, les étagères des gares et des tabagies sont couverts de ces fascicules d’une quarantaine de pages en moyenne, aux couvertures monochromes munies d’illustrations spectaculaires, d’un goût souvent douteux. On les vend 0.10$ (d’où leur surnom de « romans à dix sous »). Le prix montera à 0.15$ dans les années 60, qui verront la disparition du genre.

La publication est hebdomadaire, chaque semaine voyant la parution d’un nouvel épisode d’une histoire à suivre. Plus de 80 feuilletons seront publiées pendant les 23 ans d’existence de ce médium.
Certaines racontent des « cas vécus » tirés des annales policières mais la plupart sont des œuvres de fiction de tous les types : policiers, science-fiction, western et, bien sûr, espionnage car le genre a commencé durant la deuxième guerre mondiale et, aussitôt, après, c’est la guerre froide et les espions de romans font leur part dans la lutte contre le « danger communiste ». .

Le plus populaire : « Les aventures étranges de l’agent IXE-13, l’as des espions canadiens-français ». En 1950, un million d’exemplaires de cette série seront vendus.( Combien d’auteurs québécois contemporain ont vendu un million d’exemplaires d’un de leurs livres ? )
De semaine en semaine, Jean Thibault alias l’agent IXE 13, accompagné de son faire-valoir, le colosse marseillais Marius Lamouche pulvérise les méchants communistes. Parmi ceux-ci, un ancien nazi, le colonel Von Tracht (devenu Tracko, une fois passé aux Soviétiques après la guerre) et la séduisante Taïa « Reine des communistes chinois ».

Mais il y en a d’autres : le Domino Noir, un justicier masqué, sous l’identité duquel se cache Simon Antoine, jeune et riche playboy, aidé par ses inséparables compagnons, le journaliste Benoît Augé et la jolie Marthe Bouché. Il y a Albert Brien, l’as des détectives canadiens-français et Guy Verchères l’Arsène Lupin canadien-français, Monsieur Mystère, et bien d’autres. Étonnamment, plusieurs mettent en scène un personnage central féminin : « Colette UZ-16, l’As femme détective canadienne-française », « Françoise UC 12, l’incomparable espionne canadienne-française », « Diane, la belle aventurière », etc.
Le caractère « canadien-français » des héros et héroïnes est souvent mis en évidence dans le titre des feuilletons. On peut y voir un phénomène de compensation pour un peuple manquant de vrais héros (après tout, c’est au beau milieu de cette période, en 1955, qu’a eu lieu la fameuse émeute du forum à la suite de la suspension de Maurice Richard).

Qui lisait ces récits ? Selon une étude réalisée par un consortium universitaire appelé Érudit la moyenne d’âge des lecteurs de romans à dix sous était de 15 ans. Selon la même étude, la majorité d’entre eux, lorsqu’ils ont délaissé ce type de lecture, se sont mis à lire des best-sellers. Point à relever : ils et elles ne lisaient alors presque plus de livres québécois. Ce qui confirme ce que je disais au début, que la littérature québécoise n’a longtemps rien produit qui réponde à ce type de préoccupations.

Les auteurs ? Ils écrivent tous sous des pseudonymes, Hercule Valjean, Max Romier, Gilles Brodeur, Marcel Lenoir, etc. Ils étaient sans doute des dizaines mais très peu ont été identifiés formellement.
Le plus connu : Pierre Saurel, auteur du très populaire IXE-13, alias Pierre Daigneault, folkloriste et comédien, surtout connu aujourd’hui pour son rôle du père Ovide dans « Les Belles Histoires des Pays d’En Haut ». Il a aussi écrit une bonne partie des aventures du « Domino Noir » et d’autres feuilletons, changeant allègrement de pseudonyme au besoin. On sait qu’Yves Thériault a aussi prêté sa plume à divers pseudonymes.

Ce qui explique que ces histoires étaient mal et rapidement écrites. Mal écrites parce que rapidement : un épisode par semaine de chaque série, chaque auteur écrivant plusieurs épisodes de plusieurs séries, fréquemment sous plusieurs pseudonymes. (Thériault en aurait écrit jusqu’à 12 épisodes par semaine !). Il arrivait qu’un feuilleton soit écrit par plusieurs auteurs se relayant sous le même pseudonyme, sans toujours s’être lus mutuellement, d’où de fréquentes incohérences dans les récits. Par exemple, dans certains épisodes, tout un chacun connaissait la véritable identité du Domino Noir, gardée jalousement secrète dans d’autres. Le réalisme n’était pas, non plus, une préoccupation majeure : dans un des premiers épisodes d’IXE-13, on voit l’as des espions participer à … la prise de Berlin avec les troupes canadiennes !

Désapprouvée par le clergé et ignorée par le milieu littéraire, cette littérature populaire disparut aussi rapidement qu’elle était apparue, tuée, sans doute, par la télé, le cinéma et les bandes dessinées importées. Les derniers IXE-13 furent publiés en 1967. J’avais 8 ans. Quatre ans plus tard, lorsque le film de Godbout sortit sur les écrans, j’ignorais totalement qu’une telle littérature eut déjà existé.

C’est quoi, la devise du Québec, déjà ?

Pour en savoir plus :

M. Jean Layette tient depuis 2000 un site consacré à la littérature québécoise en fascicules, c’est à voir ! Voici le lien :

http://www3.sympatico.ca/collectionantiqueduquebec/liquefasc/

En 1989, un projet de recherche du Centre de Recherche en Littérature québécoise, dirigé par M. Denis Saint-Jacques a débouché sur l’édition d’une anthologie proposant des épisodes de plusieurs feuilletons de la période 1940-1960 et mettant en scène des héroïnes :

Milot, Louise, Aurise Deschamps, Madeline Godin
Le cœur à l’aventure
Montréal, Nuit Blanche, Éditeur, 1989,372 p.
http://openlibrary.org/b/OL20379595M/Coeur-%C3%A0-l%27aventure

« Avez-vous déjà lu IXE-13, Albert Brien, Guy Verchères…? »
Sylvie Provost
Études littéraires, vol. 15, n° 2, 1982, p. 133-164.
http://www.erudit.org/revue/etudlitt/1982/v15/n2/500571ar.pdf

Et des extraits du film de Godbout sont visibles sur Youtube :
http://www.youtube.com/results?search_type=&search_query=IXE+13&aq=f

dimanche 7 juin 2009

Histoire d'histoires...


Le temps des romans à dix sous. (1ère partie)


Depuis que je sais lire, j’ai une dent contre la fiction québécoise. Durant mon enfance et mon adolescence, les auteurs d’ici n’ont pas produit grand-chose pour susciter mon intérêt. Romans, téléromans, films, rien ne trouvait grâce à mes yeux, du moins jusqu’aux années 1980 (après, ça a commencé à changer). Comme beaucoup de jeunes je « trippais » sur les histoires d’action, de suspenses, d’insolite. Science-fiction, fantastique, polar, thrillers d’espionnage, voilà ce qui était ma tasse de thé, que ce soit à la télé, au cinéma, en roman ou en B.D.
Or, de ce point de vue, dans la deuxième moitié des années 1960 et dans les années 1970, tout était étranger. Les « héros », qu’ils soient capitaines de vaisseau spatial, espions, pilotes, détectives ou explorateurs étaient invariablement américains, français, britanniques, japonais, belges, parfois néerlandais, mexicains ou italiens mais jamais québécois. Un seul « Canadien » : Dan Cooper l’as de l’aviation… héros d’une B.D. belge. Les Français produisaient des films policiers et d'espionnage, les Belges des B.D., les Japonais des gros monstres, les Italiens des péplums et des western, les Chinois des films de Kung-Fu, les Britanniques étaient les spécialistes de l'horreur gothique. Les séries télé d'action venaient des États-Unis ou de Grande-Bretagne, mais parfois du Japon (surtout les dessins animés) mais aussi d'ailleurs. Et ici ?
Le roman québécois semblait ne se composer que de romances sombres mettant en vedette des losers mijotant dans leur auto-apitoiement. Les téléromans ? Des petits drames familiaux se résumant à des chicanes de cuisine. Quand il se passait quelque chose, on ne le voyait pas, on en entendait parler ! Le cinéma québécois ? À l’époque, on n’y voyait qu’antihéros souffreteux, théâtre d’été filmé ou « films de cul ».
Vraiment, il semblait possible d’imaginer un monde plus excitant dans tous les pays, sauf ici. Il semblait possible d’imaginer un individu triomphant contre l’adversité dans tous les pays sauf ici. Il semblait possible de trouver des récits captivants dans l’histoire de tous les pays, sauf ici. Il semblait possible d’imaginer le futur dans tous les pays, sauf ici.

Ça n’avait pourtant pas toujours été comme ça. Je me souvenais, qu’au début des années 60 (mais j’étais alors bien petit…), il y avait eu, à la télé québécoise, des séries historiques, policières, fantastiques, tout à fait comparables à ce qui se faisait ailleurs. Il y avait eu Radisson, Les Enquêtes Jobidon, le Courrier du Roy, le Grand Duc, Ti-Jean Caribou.
Tout ça était bien disparu quand je commençais à aller à l’école. L’ « action », c’était alors « Batman », « Ultraman », Super-Bolide (alias « Speed Racer ») Hawaii 5-0, les Envahisseurs, Bob Morane, Tintin, Astérix, etc.
Ce fut l’époque où je commençais à m’intéresser à l’écriture, tout d’abord par le biais de la B.D. Je créais des bandes dessinées sur du papier recyclé que mon père ramenait de l’usine. Histoires d’aventures, de science-fiction, fantastique… toujours très exotiques. J’étais totalement incapable d’imaginer de telles histoires se passant au Québec. Tous mes héros avaient des noms anglo-saxons et vivaient à Los Angeles, Londres ou New York.
Ce malaise était d’ailleurs très répandu. Un jour dans la cour de l’école, je rencontrai un gars, qui faisait, lui aussi, des B.D. J’étais heureux de rencontrer enfin quelqu’un qui partageait mes intérêts, ça me faisait sentir moins « freak ». Ce fut d’une longue amitié et, de samedi en samedi, nous rencontrions pour partager nos créations. Pendant un moment, il y eu même une sorte de petit club de 4 ou 5 bédéistes en herbe. Ils avaient tous le même problème que moi en ce qui concernait les personnages québécois (ou canadiens-français, comme nous disions alors).
Lorsque nous évoquions la possibilité de créer un héros francophone, c’était sur le mode de la parodie, pour plaisanter. La chose paraissait absurde en soi.
Puis, un samedi de 1971, je feuilletais la revue « Perspectives » (qui venait en supplément du journal Le Soleil chaque fin de semaine) et j’aperçus une photo d’un curieux décor avec des comédiens québécois connus en uniformes nazis. En grosse lettres colorées, un titre : IXE 13.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? », me demandai-je. On parlait d’un film qui allait bientôt sortir. Film de Jacques Godbout, musique de François Dompierre et, distribution : Louise Forestier, les quatre compères du groupe Les Cyniques: André Dubois, Serge Grenier, Marc Laurendeau et Marcel Saint-Germain, plus Carole Laure, Diane Arcand, Luce Guilbeault, Jean-Guy Moreau, Louisette Dussault et même les lutteurs nains Little Brutus et Sky Low Low !
Dans l’article, j’apprenais que ce film était une adaptation d’une série de romans de Pierre Saurel, mettant en vedette un personnage qui avait été extrêmement populaire : IXE 13, l’as des espions canadiens.
Alors que je commentais l’article à voix haute, ma mère, qui se trouvait non loin, dans la cuisine, me dit à peu près ceci : « IXE 13 ? Ah oui ! J’aimais ces livres-là, ça a été extrêmement populaire. Tout le monde lisait ça. C’était des « romans à dix sous ». »
L’article du « Perspectives » mentionnait, effectivement, que les « romans à dix sous », publiés en épisodes hebdomadaires, avaient été une forme de littérature très populaire avant la télé.
J’étais à la fois fasciné et frustré : moi qui lisais beaucoup, je n’en avais jamais entendu parler.
Dans une vieille armoire de la maison, se trouvaient encore quelques exemplaires de ce qui avait été les lectures de ma mère : de vieux numéros jaunis des aventures de IXE 13, ainsi que d’un autre personnage totalement inconnu pour moi, «Le Domino Noir ». C’étaient des fascicules d’une quarantaine de pages, imprimés sur du papier journal, avec une couverture monochrome illustrée. Je les lus avec fascination. Comme ça, il avait déjà existé, ici au Québec, une forme de littérature populaire !
Évidemment, je suis allé voir le film. Une comédie musicale (genre peu pratiqué ici, également) joyeusement éclatée. « IXE 13 » fut cependant un flop au box office. J’ai toujours considéré que c’était un des films les plus sous-estimé de cette période du cinéma québécois.
Il a fallu des décennies avant que j’en apprenne davantage sur ce qu’avaient été ces fameux « romans à dix sous ».
De quoi s’agissait-il donc ?
La suite la semaine prochaine.
P.S. : "Histoires à Dormir Debout !" est aussi une émission de radio !
Tous les dimanches à 13h et les jeudi à 18h sur CJRD FM 88,9 à Drummondville.
Animée par Claire Tessier.
Accessible en direct sur le web au www.cjrd.ca

dimanche 10 mai 2009

Histoire d’éthique


On parle beaucoup des problèmes éthiques des politiciens ces jours-ci.
Entre la commission Oliphant qui enquête sur les possibles malversations de l’époque Mulroney, le conflit d’intérêt d’un ministre provincial pour qui on change les règles, l’affaire des compteurs d’eau à Montréal, les magouilles autour des FIERS, il y a beaucoup de questions qui se posent sur ce qu’on fait des deniers publics. Et sur le sens de l’éthique de certains de nos dirigeants.

Ça ne date pas d’hier. La première écoute électronique à avoir eu lieu au Québec, visait précisément à révéler un scandale.

Députés sous écoute...

En 1913, le parti libéral forme le gouvernement de la province de Québec depuis 16 ans. Lomer Gouin (photo) est premier ministre depuis 1905. Des rumeurs courent sur la corruption des députés au pouvoir. On dit que des contrats sont obtenus grâce à des pots-de-vin mais les preuves manquent. Cette même année, un nouveau journal est fondé, le Montreal Daily News, très proche du parti conservateur. Désireux de mettre la main sur un « scoop » qui fera connaître leur journal, le directeur, E. Nichols et le rédacteur en chef Brenton A. MacNab se décident à investir près de 50 000$ pour prendre des députés libéraux en flagrant délits.
Ils contactent une agence de détective privés célèbre des États-Unis, l’agence Burns qui leur envoie quelques détectives qui se font passer pour des hommes d’affaire. Ils se prétendent les représentants d’une entreprise spécialisée dans l’organisation de foires, expositions et événements de ce type, la Montreal Fair Association. Ils débarquent à Québec et s’installent au château Frontenac d’où ils contactent le président du comité des bills privés à l’Assemblée législative, M. Joseph-Octave Mousseau. Le député libéral les rencontre dans la chambre 369. C’est là qu’ils lui propose un projet de loi (« bill ») qu’ils ont rédigé eux-mêmes et qui exempterait la Montreal Fair Association des lois sur l’alcool et le jeu ainsi que de plusieurs taxes et impôts.
Pour aider Mousseau à convaincre le gouvernement d’adopter le bill en question, ils ont préparé plusieurs enveloppes contenant des sommes d’argent substantielles à distribuer en pot-de-vin. Mousseau accepte l’argent... sans savoir que dans les murs de la chambre 369 se trouvent des micros Marconi reliés à un appareil appelé « détectaphone ». Des écouteurs permettent à des sténographes assermentés, installés dans une autre pièce, d’écouter la conversation et de la retranscrire.
Le détectaphone (genre de central téléphonique portatif) appartient à l’agence Burns qui s’en sert fréquemment pour des enquêtes. Mousseau vient d’être victime de la première écoute électronique dans l’histoire du Québec.
En décembre 1913, le projet de loi rédigé par les « hommes d’affaires » est présenté au parlement par Mousseau (bill privé no 158). Il est accepté sans aucun amendement, puis est adopté par le Conseil législatif (Sénat provincial, aujourd’hui aboli) en janvier 1914. Il est présenté par le conseiller Achille Bergevin.
Une semaine plus tard le Montreal Daily Star commence à publier les détails de l’affaire, incluant la retranscription de la conversation tenue dans la chambre 369. Le 22 du même mois, Armand Lavergne député nationaliste indépendant, interpelle le gouvernement sur ce sujet en chambre et exige une enquête publique. Il harcèle le gouvernement et, apuuyé par plusieurs journaux, finit par obtenir que l’enquête ait finalement lieu.
Les rédacteur du journal comparaissent devant les députés. Heureusement pour le gouvernement, Mousseau n’a pas nommé tous les bénéficiaires des pots-de-vin.
Finalement Mousseau, Bergevin et un autre Conseiller législatif incriminé, Louis-Philippe Bérard, devront démissionner.
L’affaire occupe la première page des journaux. Le parti libéral accuse les journalistes de salir la classe politique toute entière. En février, Charles Lanctôt, assistant du procureur général (Ministre de la Justice) impliqué dans l’affaire, attaque physiquement Brenton MacNab. Il doit plus tard lui présenter des excuses.
Le bill 156 est finalement abandonné à cause du scandale. La Première guerre mondiale sauvera sans doute le gouvernement de Lomer Gouin en dirigeant l’attention de la presse vers le conflit, ce qui fera oublier le scandale. Les libéraux resteront au pouvoir jusqu’en 1936. Bergevin fera un retour en politique et sera élu député de Beauharnois en 1919. Mousseau connaîtra une belle carrière d’avocat.
Damase Potvin, correspondant de La Patrie à Québec, rassemblera ses notes sur ses événements et en tirera un roman Le Membre...

Comme qui dirait : Rien de neuf sous le soleil de ce côté-là. Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie !


Attention ! De nouvelles émissions de « Histoires à Dormir Debout ! » seront diffusés à partir du 14 mai sur les ondes de CJRD 88,9 FM Radio Drummond. Vous pouvez les écouter en direct sur le web au http://www.cjrd.ca/
Tous les jeudi à 18h avec une reprise le dimanche à 13h !
Je raconte une nouvelle histoire chaque semaine en répondant aux questions de Claire Tessier !

Source de la photo : université de Sherbrooke.
http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/23354.html

lundi 13 avril 2009

Histoire de pirates




Les disciples somaliens de Jack Sparrow.

On a beaucoup parlé des pirates cette semaine. Surtout après qu’un navire américain eut été pris d’assaut par une bande de pirates au large de la Somalie. Cela fait déjà plusieurs années qu’on peut lire de petits articles dans les journaux sur les pirates somaliens qui attaquent régulièrement des navires qui doivent passer près des côtes de leur pays pour entrer dans la mer Rouge en direction du canal de Suez.

Il y a quelques semaines une flotte chinoise se dirigeait vers la région afin d’escorter un convoi de cargos. Détail : c’est la première flotte militaire chinoise dans la région depuis celle de l’amiral Zheng He en 1431.

Mais tout ça n’attirait pas spécialement l’attention. Par contre un navire américain, ça c’est important ! Surtout après qu’une nouvelle parue dans Cyberpresse annonce que l’équipage avait « repris le contrôle du navire ». Ça a fait fantasmer certains blogueurs sur les braves américains qui avaient pris les choses en main parce qu’ils avaient le droit d’être armés, à la Rambo ou à la Bruce Willis. En fait les marins n’ont pas plus le droit d’être armés sur les navires américains que sur les autres. On appris rapidement que ce qui s’était passé, c’est que le capitaine Richard Phillips, avait dit à à son équipage d'une vingtaine d'hommes de s'enfermer dans une pièce. L'équipage avait eu ensuite le dessus sur certains des pirates mais le capitaine s'est rendu aux assaillants afin de protéger ses hommes. Les assaillants se sont ensuite échappé en emmenant le capitaine en otage à bord d'un canot de sauvetage. Courageux, le gars, mais plus proche de Martin Luther King que de Rambo… Une intervention militaire a finalement permis de libérer le capitaine.
Le « Maersk Alabama » est un cargo de 17.000 tonnes appartenant à Maersk Ltd, une filiale d’une compagnie danoise, qui est aussi un très gros sous-contractant du département américain de la défense.
Des éditorialistes de Power Corporation ont alors écrit sur ce qu’il faudrait faire face à ces pirates et philosophés sentencieusement sur le côté « post-moderne » et « retour au Moyen Âge » de la réapparition de la piraterie maritime.
On a aussi, bien sûr, évoqué l’Islamisme. C’est vrai que des émules d’Oussama Ben Laden seraient en train de recruter chez les Somaliens. Pas vraiment de surprise là.

Personne ne s’est demandé, et on ne nous a pas expliqué, cependant, comment et pourquoi la piraterie maritime s’était développée, spécifiquement, au large de la Somalie.
Historiquement, les pirates des mers ne peuvent exister que dans les régions ou il n’y a pas d’État capable de faire régner l’ordre sur les côtes. Ou bien lorsque l’État encourage la piraterie parce qu’il en tire un profit.
La Somalie appartient définitivement au premier cas, étant donné qu’il n’y a pas eu de gouvernement digne de ce nom dans le pays depuis le début des années 1990, quand une guerre civile a commencé Le pays, depuis s’est fragmenté en une série de clans contrôlés par des chefs de bande qu’on appelle parfois « seigneurs de la guerre ». Une tentative d’instaurer un gouvernement en 2006 sous la forme d’une « Union des Tribunaux islamiques ». Cette institution s’effondra après que l’Éthiopie eut envahi la Somalie, prétextant que ces Tribunaux étaient une menace à sa sécurité bien qu’ils n’aient eu aucune force armée.
Un « Gouvernement fédéral provisoire » est reconnu par plusieurs pays mais ne contrôle rien en Somalie même.

Ce qu’on sait des pirates c’est qu’ils ont en moyenne de 25 à 30 ans et viennent du Nord-Est du pays. Selon l’Association maritime d’Afrique orientale il y aurait au moins cinq « gangs » de pirates regroupant au total environ 1 000 hommes armés. Selon la BBC, on peut les regrouper en 3 catégories :
-Des pêcheurs de la région, considérés comme les cerveaux à cause de leur compétence en navigation et de leur connaissance de la mer.
-Des ex-miliciens qui combattaient auparavant pour les chefs de clans locaux et qui amènent leurs armes.
-Des techniciens sachant utiliser l’équipement technologique tel que les GPS.

La présence des pirates dans les villages de la côte entraîne la présence d’homems armés dans les rues, ce qui est un problème de sécurité ainsi qu’une hausse de la consammation d’alcool et de drogues diverses. Par contre, ils sont la seule source de revenus et d’emplois pour une bonne partie de la population. Et, paradoxalement, ils sont souvent la seule force de maintien de l’ordre en l’absence d’État.

Mais pourquoi n’y a-t-il pas d’État en Somalie ?

Il y en avait un il y a encore 20 ans. Dans les année 60-70, le pays était presqu’autosuffisant en matière alimentaire, son économie reposant essentiellement sur l’élevage du bétail.

Engagé dans une longue guerre contre l’Éthiopie pour la possession de l’Érythrée, territoire de l’ancienne Somalie italienne donné en cadeau à l’Éthiopie par les Alliés à la fin de la Deuxième guerre mondiale, le pays a, durant les années 70, contracté des prêts auprès de grandes institutions financières. Il a dû, en conséquence, se soumettre à un plan « d’ajustement structurel « imposé par le Fonds monétaire international (FMI).

Ce plan comprenait plusieurs volets. Tout d’abord on a dévalué la monnaie locale, ce qui a entraîné de fortes hausses de prix du carburant, des engrais et des médicaments pour le bétail. De nombreuses entreprises d’État ont été privatisées, dont un programme de vaccination des animaux qui devint ainsi trop cher pour les paysans. Le résultat : une série d’épidémies a décimé le cheptel, entraînant la famine dans ce pays ou, jusqu’en 1983, le bétail représentait 80% des exportations. Parallèlement les dépenses de santé ont chuté de 78% entre 1975 et 1989. Le budget de l’éducation, qui était de 82$ en 1982, était tombé à 4$ en 1989. Les inscriptions scolaires ont chuté de 41%.

Si ces faits ont été peu publicisés en Occident à l’époque (pourquoi ?) , la suite, elle, a été abondamment médiatisée : guerre civile, famines meurtrières et effondrement total du gouvernement en 1991. Le pays est depuis ^partagé entre des chefs de guerre commandants des milices privées.

Les concerts « Live Aid » et autre « We are the World » ont permis aux artistes et aux donateurs de ce donner bonne conscience mais n’ont pas pu remplacer l’économie et la société détruite.

Une expédition de l’ONU n’a pas changé grand-chose n’ont plus, sauf à faire quelques milliers de morts de plus parmi les Somaliens. Elle a permis de découvrir qu’un régiment aéroporté était infiltré par des néo-nazis et a embarrassé les Forces armées quand un civil somalien a été torturé à mort par des militaires canadiens. Après qu’une milice locale ait abattu un hélicoptère américain, les troupes étrangères ont fait leurs paquets et abandonné la Somalie à son sort.

Les eaux territoriales somaliennes, désormais sans protection, furent alors envahies par des chalutiers de différents pays qui viennent pêcher annuellement pour environ 300 millions de dollars de thon, homard et crevettes, privant par conséquent les pe^cheurs somaliens de leur revenu. C’est alors que les pêcheurs commencèrent à utiliser des bateaux rapides pour intercepter les navires de passage et prélever des « taxes » et les dissuader de revenir. La piraterie somalienne était née. On évalue à environ 100 millions de dollars le montant d’argent rapporté en Somalie à chaque année par les pirates. Sugule Ali, un des leaders d’un groupe de pirates qui se surnomme « La garde-côte volontaire de Somalie » déclare que les « vrais bandits sont ceux qui vienne pêcher ici illégalement et verser des déchets dans nos eaux.».

Car la côte somalienne sert aussi de dépotoir pour d’autres pays qui y vont déverser leurs déchets toxiques, parfois nucléaires. Un député vert européen a présenté au parlement de Strasbourg des copies de contrats signés par deux firmes européens avec un chef de guerre somalien lui offrant 80 millions de dollars en échange de la permission pour les firmes de déverser 10 millions de tonnes de déchets toxiques dans les eaux près de son territoire. Après le tsunami de 2005 dans l’Océan indien, des déchets nucléaires auraient fait surface et un rapport de l’ONU fait état de symptômes « cohérent avec l’empoisonnement aux radiations » dans la population locale. Environ 300 personnes en seraient mortes.

Alors oui, il y a des pirates en Somalie. Mais ils ne sont pas tombés du ciel.

Pour en savoir plus :

http://www.alternet.org/story/135716/

http://en.wikipedia.org/wiki/Somali_pirate

http://www.sfbayview.com/2009/you-are-being-lied-to-about-pirates/

http://www.g7.utoronto.ca/governmental/hc16/hc161015.htm

Photo : pirates somaliens source Wikiméedia commons