dimanche 22 février 2009

Votre cellulaire et le Congo (2e partie)















Un siècle après le caoutchouc, le Congo saigne toujours...




On a évalué à 220 millions de francs (équivalent à $ 1,1 milliards en dollars d’aujourd’hui) le profit total que Léopold aurait retiré durant sa vie, de sa colonie privée. Cela lui permit, entre autres, d’investir $6 millions dans la rénovation de son palais royal à Laecken.
L’exploitation du caoutchouc et de l’ivoire avaient l’avantage commun de ne nécessiter aucun investissement en capital, mais uniquement du travail : les Africains étaient forcés d’aller cueillir le latex et chasser l’éléphant, sous peine d’être fouetté, exécuté, mutilé, ou de voir leurs familles, prises en otage, subir le même sort. La moitié du budget de « l’État indépendant du Congo » était englouti dans la Force publique, armée de mercenaires au service de Léopold, dont les effectifs avaient gonflé jusqu’à 19 000 hommes. Il intéressant de comparer l’importance de cette force paramilitaire avec le chiffre minime de 430 employés civils en 1890. Cela donne une idée de la nature du régime…
Celui commença d’ailleurs de plus en plus à être critiqué à partir du tournant du siècle.
Dès 1890, un journaliste américain (et noir), Georges Washington Williams avait écrit une Lettre ouverte au roi Léopold, publiée dans plusieurs journaux, dénonçant les atrocités commises au Congo. Quelques missionnaires ajoutèrent leurs voix à la sienne. Essentiellement des Protestants, les Catholiques étant étrangement silencieux…
Léopold mit en doute ces informations, créa une Commission d’enquête bidon et a alla jusqu’à rétribuer des journalistes pour obtenir des articles favorables dans la presse. Il faut dire qu’il était très difficile pour des étrangers d’obtenir la permission de visiter le Congo et que les employés de la compagnie ne pouvaient le quitter avant la fin de leur contrat. L’information circulait donc mal. Néanmoins, un ancien employé, E.D. Morel, finit par révéler publiquement les atrocités auxquelles il avait assisté. En 1902, Joseph Conrad publia « Au cœur des ténèbres », longue nouvelle dans laquelle il décrit de façon impressionniste les horreurs du Congo léopoldien. En 1904, Roger Casement, diplomate britannique et militant antiesclavagiste, visita le Congo et ameuta la presse européenne. Toutes ces protestations finirent par amener le gouvernement belge, inquiet des répercussions sur l’image de la Belgique, à instaurer une commission d’enquête. En 1908, le Parlement belge vota l’annexion du Congo qui devint une colonie de la Belgique pour les 52 années suivantes. La Belgique prit en charge la dette de « l’État indépendant » (environ 110 millions de francs belges). Le roi n’eut jamais à rembourser les 32 millions en prêt divers consentis au cours des années et reçut 50 millions en « reconnaissance pour les services rendus » (à qui ?). Léopold mourut l’année suivante. Détail : il avait ordonné la destruction de toutes les archives de « l’État indépendant du Congo ».
Le bilan de ces années de terreur sur les populations du bassin du Congo est difficile à tracer. Il n’y eut aucun recensement au Congo avant les années 1920 et les estimations de la population congolaise avant le règne de Léopold varient de 10 000 000 à 27 000 000. L’estimation du nombre de morts causés par la terreur léopoldienne varie tout autant. Certains parlent de « plusieurs centaines de milliers de morts ». Roger Casement, en 1904 avait évalué à 3 millions le nombre de victimes. L’historien américain Adam Hoschild a évalué le chiffre à 7,5 millions. Si ces chiffres s’avèrent proches de la réalité, cela place Léopold dans la même catégorie de tueurs de masse que Staline, Hitler, Mao Zeedong ou Pol Pot.
Comment ces morts se produisirent-ils ? D’abord il y eut, bien sûr, les mauvais traitements, épuisement dû au travail forcé et exécutions sommaires. Mais il faut y ajouter les guerres continuelles : plusieurs royaumes africains résistèrent avec leurs vieux fusils à pierre ou leurs lances contre les armes à répétition et les mitrailleuses de la « Force publique ». Certaines ethnies se livrèrent à des guérillas qui durèrent jusqu’en 1906, auxquelles la « Force publique » répliquait souvent par des représailles sur les populations civiles. Les Arabes et Swahilis établis dans la région pour le commerce des esclaves et de l’ivoire défendirent aussi leurs intérêts. Ils avaient fondés des établissements dont certains étaient de véritables villes pouvant atteindre 60 000 habitants. De 1892 à 1894, ces cités furent systématiquement détruites. Puis, dans les années qui suivirent, la « Force publique » fut confrontée à une série de mutineries de ses soldats africains, étalées sur plus de dix ans (la dernière eut lieu en 1907).
Il faut ajouter les épidémies causées par les déplacements de population et les famines provoquées par l’abandon des cultures vivrières quand la main-d’œuvre était réquisitionnée.
La « Force publique » obtenait la collaboration des chefs coutumiers en les menaçant de mort. Ils donnaient l’ordre à leurs sujets d’aller récolter du caoutchouc sauvage dans la forêt. Ces exigences finissaient par provoquer des révoltes contre les chefs. La Force créa des camps où les femmes et les enfants furent pris en otage, les hommes pouvant libérer les membres de leur famille contre de l’ivoire ou du caoutchouc. Ces camps furent de véritables foyers d’épidémie et on y mourrait en masse.
Après 1908, on se dépêcha d’oublier ces faits dérangeants.
Mais aujourd’hui ? Sûrement la guerre actuelle au Congo est une affaire purement congolaise, non ?
En fait, elle a débuté avec l’invasion du pays par une armée rwandaise à la poursuite de rebelles liés aux massacres de 1994 dans ce pays, mais surtout, toutes les armées qui s’affrontent se financent avec de l’argent et des armes qui viennent d’en dehors du pays. En fait, en dehors d’Afrique.

Cuivre, étain, cassérite, coltane, lihium : ce sont des métaux ou des alliages naturels, bref des matériaux qu’on dit stratégiques. Vous ne connaissez sans doute pas les noms de plusieurs d’entre eux mais sachez qu’ils font partie des composants indispensables de plusieurs produits de haute technologie. Le coltane, en particulier, une fois raffiné, donne le tantale métallique, indispensable à certains produits technologiques, notamment votre téléphone cellulaireé
Le Congo est le principal producteur de plusieurs de ces métaux. Il possède, par exemple, 10% des réserves mondiales de cuivre, 30 à 40% des réserves de cobalt et 60 à 80% des réserves de coltane. Les exportations de coltane du Congo, par exemple, sont majoritairement dirigées vers les États-Unis qui en sont le plus grand consommateur.
Les mines de cassérite sont situées dans la province du Nord-Kivu, au nord du pays, là où la guerre fait rage. La guerre n’empêche pas l’exploitation minière, au contraire. Un mineur nommé Muhanga Kawaya a parlé de son travail à un journaliste britannique en 2006 :
« Quand tu rampes dans le petit trou, utilisant des doigts et tes bras pour t’agripper, il n’y a pas assez de place pour creuser proprement et tu te fais écorcher partout sur le corps. Et alors, quand tu reviens finalement à l’extérieur avec la cassérite, les soldats t’attendent pour prendre le minerai à la pointe du fusil. Ce qui veut dire qu’il ne te reste rien pour acheter de la nourriture. Alors nous avons toujours faim. »
Certaines mines sont gérées par des militaires ou à d’autres groupes armés, avec une main-d’œuvre théoriquement salariée, d’autres appartiennent à des mineurs « indépendants » qui sont taxées lourdement par les mêmes militaires ou les mêmes milices privées. Les soldats eux-mêmes sont peu ou pas payés alors la tentation est grande de pressurer les mineurs. Avec tout ce qu’on peut imaginer comme « dommage collatéraux » : meurtres, viols des femmes, enrôlement forcés des enfants comme soldats, etc.
Le journaliste Sven Torfinn a écrit, dans The Economist un article intitulé « Africa’s Great War ». On peut y lire des histoires de ce genre :
A travers le Kivu, un pays de collines vertes digne des cartes postales, les villages sont à moitié désertés, les champs négligés et le bétail un pieux souvenir. Dans les forêts entourant Mantu, près de Bukavu, les villageois ont creusé des tranchées allant jusqu'à la taille et les ont recouvertes de branches ; lorsque les maraudeurs hutus approchent, comme presque chaque semaine, ils viennent s'y cacher.
Les paysans de Ramba Chitanga, un village trop petit pour figurer sur une carte, racontent une histoire macabre. Lorsque le RDC (Une des factions militaires.) est parti, les Hutus sont arrivés et ont accusé les habitants de nourrir leurs ennemis, puis les Mai-Mai (Une autre faction) ont attaqué. Durant la bataille qui s'est ensuivi, les Hutus ont amputé les mains d'une jeune femme de 29 ans nommée Janet Vumilia ; à présent, avec ses moignons en forme de quille, elle maudit les proches qu'ils ont assassinés : ses beaux-parents, son beau-frère, sa sœur enceinte et sa nièce.
(…) Le bétail est aujourd'hui rarissime au Kivu, mais les prix se sont néanmoins effondrés. Les habitants calculent que s'ils achètent une vache, des hommes en armes vont la leur prendre, de sorte qu'ils ne le font pas. Les rebelles encaissent une "taxe sécuritaire" de 1 dollar par hutte, mais ce paiement ne semble pas réduire la probabilité que tôt ou tard des assassins s'infiltrent nuitamment.
Dans l'hôpital de Walungi, près de Bukavu, 1200 patients se répartissent 300 lits et l'attention de 3 médecins. La moitié environ des pensionnaires sont relativement bien portants, mais trop terrifiés pour rentrer chez eux. Les peintures murales de l'hôpital mettent en scène des docteurs noirs en blouse blanche, et rappellent les espoirs perdus des années 60. A présent, les dispensaires sont pleins d'enfants noirs aux cheveux blonds, un symptôme de malnutrition. Agée de 32 ans, l'infirmière principale affirme n'avoir reçu que 3 mois de salaire dans toute sa carrière. Pourquoi donc continuer ? "C'est notre pays", dit-elle en haussant les épaules. "Il est tragique, mais c'est ainsi."
Les mines de coltane, pour leur part, ont financé une armée de 40 000 soldats soutenue par le Rwanda en 2001-2002.
Tous ces matériaux sont en quantité infime dans chaque téléphone ou appareil électronique mais l’explosion du nombre de ces appareils depuis 10 ans crée une demande sans cesse croissante pour les métaux produits par le Congo.
Et c’est ainsi que le boom des nouvelles technologies et notre économie « sans fil », en Europe, en Amérique du Nord, sont soutenues par une économie de pillage dont le fonctionnement n’aurait pas dépaysé un Romain de l’Antiquité.
Il est vrai que certains pays occidentaux, aiguillés par les États-Unis, pensent à une force d’intervention… Depuis que le gouvernement nominal du Congo a signé un accord avec la Chine pour l’exploitation des métaux rares, et qu’une force de paix composée de troupes venues d’autres pays africains a commencé à s’organiser. Ce qui ne serait pas, apparemment au goût de tout le monde.
« La mise sur pieds d’un état de droit [au Congo] va permettre de juguler le trafic de minerais qui se passe dans toute cette région. Et s’il y a un état congolais fort, ces trafics vont diminuer.En ayant un état congolais faible, ces trafics vont continuer et l’accès aux ressources va être d’autant plus facilité », selon le professeur Bob Kabamba, chercheur congolais.
La morale de l’histoire ?
Je ne vois aucune morale là-dedans…

Pour en savoir plus :
http://www.checkpoint-online.ch/CheckPoint/Monde/Mon0043-GuerreCongo.html
http://www.indymedia.be/en/node/30217
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/les-damnes-du-kivu_698131.html


Aucun commentaire: